lundi 27 mars 2023

Que faire quand l’incivilité résulte d’un épisode conflictuel?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Les conflits laissent des traces sur la dynamique d’un groupe. Même une fois réglés, et même si les personnes qui ont eu des comportements problématiques ne sont plus présentes, des mauvais plis restent. Et l’une des traces classiques qui demeure à la suite d'une situation conflictuelle est un climat d’incivilité, ou plus souvent, l’absence de civilité entre les membres du groupe. Le scénario habituel est le suivant: des personnes ont fait preuve d’incivilité et d’une certaine violence dans le cadre de la mésentente et le reste des collègues s’est isolé de la vie de groupe de façon défensive. Les relations entre les gens sont distantes et on observe une logique du chacun pour soi, même si le cœur du différend a été résolu. Cette absence de civilité nuit au sentiment d’appartenance et à la coopération dans le groupe. En plus de comprendre ce phénomène résiduel, l’intervenant doit apprendre à le désamorcer.

Incivilité chronique vs incivilité résiduelle. Lorsqu’on évalue le degré d’incivilité dans un groupe, il est important de distinguer les cas d’épisodes où elle est chronique et ceux où elle présente un caractère résiduel. On parle de chronicité lorsqu'elle a pris racine à la suite d'un manque de vigilance et à une non-attention à la qualité des relations au travail. On peut prendre l’exemple des blagues déplacées, du manque de patience et de considération, ou encore d'un climat de commérage. Dans ces cas, l’incivilité est souvent le résultat de mauvaises habitudes ou d'une réaction au stress associé au travail. Pour ce type de manières d'agir, une stratégie classique de consolidation d’équipe est généralement suffisante. Il s'agit en effet de faire prendre conscience au groupe des impacts négatifs du phénomène, d’identifier les comportements les plus problématiques et de prendre un engagement collectif envers des correctifs et à l'égard d'un Code de vie.

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Mais parfois, l’incivilité s’est incrustée dans la dynamique du groupe lors d’un conflit. On la qualifie alors de résiduelle et elle est associée à un climat de peur chez les victimes indirectes et les témoins du désaccord. C’est ainsi que durant la turbulence, chacun s’est isolé afin de ne pas souffrir. Même après cette période, la logique du chacun pour soi perdure. Pour ce type d’incivilité, il faut souvent aller plus loin que la seule consolidation d’équipe. Il faut donner un sens aux évènements passés pour déraciner les émotions qui y sont associées, soit la crainte de se faire blesser et d'être aspiré par le conflit, ou encore la déception face au manque de solidarité des collèges qui n’ont rien fait pour y mettre fin.

Modèle de régulation des menaces. Pour engager les gens dans une démarche visant à corriger l’incivilité résiduelle, il est important de désamorcer le sentiment de menace qui est lié à celle-ci, sans quoi, ils resteront méfiants. Le modèle de régulation de cette intimidation explique la réaction d’isolement et de désengagement des personnes concernées comme une stratégie de protection attribuable au fait qu'elles prêtentr de mauvaises intentions à la personne incivile. En effet, on justifie souvent les comportements d’incivilité par la malice des gens. Le manque de support reçu des collègues est attribué à l'absence d’empathie de leur part. Ainsi, pour que les individus se réinvestissent dans les relations, on doit déconstruire cette attribution de mauvaises intentions, sinon, le réflexe de se protéger prendra le dessus sur les efforts de construction d'un climat de civilité. Heureusement, beaucoup de perceptions ne correspondent pas nécessairement à la réalité et peuvent être confrontées efficacement en utilisant les bonnes stratégies.

Stratégie de la réévaluation cognitive. Pour donner une nouvelle perspective à des épisodes d’incivilité, la stratégie de réévaluation cognitive est toute indiquée. Essentiellement, elle consiste à encourager les personnes vivant la situation à s'engager dans un élargissement de leur explication des actes d’incivilité afin de réévaluer les intentions qu’elles prêtent à leurs collègues. En effet, l’objectif est d’explorer si les gestes problématiques peuvent s’expliquer autrement que par la mauvaise foi. C’est lorsque les individus trouvent une autre cause, que la charge émotive associée à l’incivilité peut être désamorcée, permettant ainsi de reconstruire une dynamique de groupe positive. 

Trois approches sont particulièrement utiles pour faciliter la reconsidération des gestes d’incivilité.
  • Dans un premier temps, on peut encourager les personnes à acquérir une perspective globale. Il s’agit d’explorer avec elles le contexte des gestes reprochés et de voir s’il n’y a pas des circonstances qui pourraient expliquer ceux-ci. Par exemple, est-ce que ce ne serait pas plutôt le climat de stress et de surcharge de travail qui serait la source des comportements?
  • Ensuite, il est important de connaître les deux côtés de l'histoire. Souvent, on attribue à l’autre des mauvaises intentions sans procéder à la validation de leur exactitude. Si cette personne ne nous est pas venue en aide lorsqu’on subissait de l’incivilité, était-ce par désintérêt ou par crainte d’être victime à son tour?
  • Finalement, on doit parfois confronter les individus qui ont fait preuve d'incivilité quant aux effets qu'elle a générés. On laisse la personne blessée exprimer l’impact que cela a eu sur elle et on demande à son vis-à-vis de parler de son intention lorsqu’il a posé les gestes reprochés. Plus souvent qu’autrement, ce dernier n’était tout simplement pas conscient des retombées possibles de son comportement ou encore, avait sous-estimé celles-ci. Par exemple, en réalisant que l’autre ne se sent pas accepté quand on oublie de le saluer le matin, cela peut provoquer des excuses et un changement d'attitude.
Lorsque l’incivilité, ou plus précisément l’absence de civilité, résulte d’un traumatisme conflictuel, il est opportun d’appliquer une stratégie de réévaluation cognitive avec le groupe. Il s’agit alors de permettre aux membres de donner une autre interprétation aux comportements répréhensibles. Quand ils cessent de les expliquer uniquement par la mauvaise foi ou par l’absence d’empathie, la méfiance relationnelle diminue et il est alors possible de se réinvestir dans les relations avec les collègues. C’est seulement dans ce cas qu’un climat de civilité redevient possible. Malheureusement, ce travail d’introspection doit souvent être provoqué. En effet, ce n’est pas une réaction naturelle pour un groupe d’aborder ces sujets, surtout si les gens qui en font partie ont développé le réflexe de s’isoler pour se protéger. Cette démarche nécessite souvent l’aide d’un facilitateur externe ou d’un spécialiste de la gestion des ressources humaines de l’interne. Néanmoins, restaurer un climat de civilité post-conflit est généralement la clé pour éviter sa résurgence.

N.B. Afin de ne pas alourdir le texte, la forme du masculin a été privilégiée.


Références
  • LASATER, Kathie, MOOD, Laura, BUCHWACH, Deborah, et al.Reducing incivility in the workplace: results of a three-part educational intervention. The Journal of Continuing Education in Nursing, 2015, vol. 46, no 1, p. 15-24.
  • THIEL, Chase E., GRIFFITH, Jennifer A., HARDY III, Jay H., et al. Let’s look at this another way: How supervisors can help subordinates manage the threat of relationship conflict. Journal of Leadership & Organizational Studies, 2018, vol. 25, no 3, p. 368-380.
  • THIEL, Chase E., HARVEY, Jaron, COURTRIGHT, Stephen, et al. What doesn’t kill you makes you stronger: How teams rebound from early-stage relationship conflict. Journal of Management, 2019, vol. 45, no 4, p. 1623-1659.

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