lundi 20 mars 2023

Passez de médiateur à facilitateur : Développer ses compétences pour résoudre les conflits de groupe

Par Jean Poitras, Ph. D.
 
Une médiatrice obtient un mandat afin de régler un différend entre deux employés. Mais à peine son intervention débutée, elle s’aperçoit que le conflit initial entre les deux employés s’est étendu pour impliquer d’autres membres du département. Peut-elle utiliser ses habiletés de médiation pour résoudre ce différend de groupe ? La réponse simple constitue un oui. Cependant, un intervenant habitué à résoudre des conflits interindividuels devrait ajouter des outils pour être en mesure de dénouer efficacement une querelle de groupe. Pour mieux comprendre, examinons ce qui distingue les deux types de situations. 

Un conflit interpersonnel survient lorsque deux collègues ou plus demeurent en désaccord ou s’affrontent en raison de divergences de croyances, de valeurs, d’opinions ou de comportements. On peut aussi inclure dans cette catégorie les affrontements de caractères. S’ils ne sont pas réglés, ils entraînent des émotions négatives, des relations endommagées et une diminution du rendement des personnes impliquées. Les conflits relationnels peuvent affecter la productivité, le moral et la satisfaction des individus touchés. 

Un conflit de groupe, en revanche, implique trois collègues ou plus au sein d’une équipe qui nourrit des différences dans les objectifs, les valeurs, les opinions ou d’autres facteurs organisationnels. Ils entraînent des conséquences nuisibles comme une baisse de l’efficacité ou encore la formation de clans. On peut aussi parfois assister à l’émergence de leaders négatifs qui viennent alors cristalliser la situation. Les conflits de groupe ont un impact plus large sur l’organisation et affectent le rendement, le travail d’équipe et même la réputation de l’entreprise. 

Les distinctions importantes entre les deux types de situations peuvent se classer en trois dimensions : 

Nombre d’acteurs. Les conflits interpersonnels engagent peu d’individus tandis que les affrontements de groupe impliquent beaucoup de monde et peuvent entraîner des conséquences sur plusieurs équipes ou départements. Plus le nombre d’individus concernés devient important, plus la résolution de la dispute devient complexe. Une confrontation sur la répartition des budgets entre différents départements peut impliquer beaucoup de gens et s’avérer difficile à régler. 

Facteur à l’origine. Les différends interpersonnels sont généralement dus à des divergences subjectives ou à des problèmes de communication, tandis que les conflits d’équipe sont souvent liés à des objectifs, des ressources ou des décisions. Les résoudre nécessite une analyse approfondie de la gestion, de la culture organisationnelle et de la dynamique de groupe. Prenons l’exemple d’un département de markéting et celui de production qui se disputent au sujet la priorité des ressources pour un projet. Pour régler le conflit, l’intervenant devra analyser la stratégie de l’entreprise et réviser des pratiques de gestion. 

Stratégie de résolution. Les conflits interpersonnels se règlent souvent par la médiation ou la négociation, tandis que les rivalités intergroupes requièrent une approche systémique avec l’identification des causes structurelles et la recherche de solutions organisationnelles. L’intervention d’un tiers ou la participation de la haute direction et du syndicat peut également devenir nécessaire. Par exemple, une équipe se divise en factions à cause de différences culturelles, demandant une analyse approfondie du climat de travail et des mesures pour favoriser la communication interculturelle. 

Il existe une zone grise entre ces deux types de situations conflictuelles. En effet, les conflits interindividuels peuvent dégénérer et impliquer de nouvelles personnes ou groupes au sein de l’entreprise. En fait, plusieurs affrontements d’équipe puisent leur origine d’une dispute relationnelle. Un différend se transforme en une querelle collective selon trois schémas principaux. 

Conflit superposé. Lorsqu’une querelle interpersonnelle associe des problèmes ou des intérêts partagés par d’autres individus ou communautés de l’organisation, il peut devenir un conflit de groupe, symptôme d’une problématique sous-jacente. Les employés impliqués peuvent se retrouver pris en otage par ceux qui cherchent à régler la question plus large. Par exemple, un différend entre deux collègues sur une tâche mal définie peut se transformer en contentieux syndical s’il implique l’ensemble du personnel. 

Conflit diffus. Une dispute interindividuelle non résolue peut entraîner des conséquences dramatiques pour l’équipe, briser la confiance et la communication, et affecter la productivité ainsi que le moral. En effet, les collègues peuvent prendre parti, créant un climat de commérage et de rivalité. Par exemple, un conflit entre un technicien et un gestionnaire peut créer une division dans l’équipe entre les techniciens et les cadres, rendant difficile l’échange d’informations entre ces deux clans. 

Conflit focal. Lorsqu’une dispute interindividuelle implique des individus clés dans une organisation, il peut paralyser celle-ci. En effet, la relation entre les protagonistes s’avère essentielle à la circulation d’information et à la coordination des actions des personnes sous leur supervision. Le différend devient alors un nœud dans le réseau social du groupe. Par exemple, un conflit entre deux cadres supérieurs peut entraver la réalisation d’un projet d’entreprise. 

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En raison de la complexité et de la dynamique des conflits de groupe, le plan d’action nécessite plus qu’une médiation pour résoudre ces différends. En effet, si une osmose s’installe entre les personnes en conflit et la dynamique de groupe, régler le conflit interpersonnel sans traiter le contexte est voué à l’échec. Prenons l’exemple d’une querelle interpersonnelle entre deux membres d’une équipe qui est en train de subir une refonte importante. Le conflit peut sembler concerner seulement ces deux personnes, mais en réalité, l’incertitude liée à la restructuration et les tensions plus larges entre les différents départements concernés l’exacerbent. Cibler le différend entre les deux membres sans aborder ces problèmes plus larges ne permettra pas une résolution complète du conflit. 

La gestion de conflits d’équipe s’avère plus complexe que les disputes interpersonnelles, car ils impliquent plusieurs parties avec des perspectives différentes. Les dynamiques de groupe, telles que les communications entre les individus et le niveau de confiance entre les coéquipiers, peuvent également affecter la résolution de la situation. Une approche systémique s’avère vitale pour parvenir à un dénouement satisfaisant, car les conflits collectifs peuvent entraîner une polarisation et la formation de factions opposées. 

Par exemple, dans un conflit au sein d’une équipe de travail, des tensions peuvent émerger entre les membres qui ont des styles de travail différents. Cela peut conduire à la formation de clans. Dans ce cas, une analyse approfondie de la dynamique de groupe ainsi que des mesures pour favoriser la communication et la confiance entre les factions s’avèrent essentielles. Pour parvenir à une résolution satisfaisante, l’intervention doit dépasser les techniques traditionnelles de médiation. 

En somme, les conflits interpersonnels et d’équipe représentent deux situations distinctes qui nécessitent des approches de délibération différentes. Les premiers peuvent être résolus en utilisant des techniques de médiation et de négociation. Pour leur part, les conflits collectifs nécessitent une analyse approfondie de la dynamique de groupe, de la culture organisationnelle et de la prise de décision collective. Ainsi, les médiateurs peuvent avoir du mal à faciliter des conflits d’équipe sans acquérir des compétences complémentaires. La première étape consiste à apprendre à lire la dynamique de groupe et comprendre comment un conflit s’imbrique dans celle-ci. En effet, comme le dit Henri Poincaré, « Un problème bien posé est un problème à moitié résolu. » 

Références 
  • BARKI, Henri et HARTWICK, Jon. Conceptualizing the construct of interpersonal conflict. International journal of conflict management, 2004. 
  • JEONG, Ho-Won. Understanding conflict and conflict analysis. Sage, 2008. PARK, Semin, 
  • MATHIEU, John E., et GROSSER, Travis J. A network conceptualization of team conflict. Academy of Management Review, 2020, vol. 45, no 2, p. 352-375.

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