lundi 23 avril 2018

Médiation de groupe: Que faire avec la personne victime d’ostracisme ?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Lorsqu’on intervient pour régler un conflit organisationnel, c'est-à-dire celui qui sévit dans une équipe de travail ou entre certaines d'entre elles dans une organisation, il arrive parfois que l’un des membres du groupe soit victime d’ostracisme. Un individu est ainsi ostraciser lorsqu’il est ignoré et exclu par un ou plusieurs autres. Malgré l'absence de dérogation verbale ou d'agression physique, subir un tel traitement est douloureux: il menace notamment le besoin psychologique d’appartenance des victimes. Face à semblable situation, tous conviennent que le gestionnaire ou le médiateur se doit d’intervenir, mais comment peut-il gérer cela ? Les recherches indiquent que ce n’est pas si simple. Avant d’agir, il est important de bien circonscrire la forme d’ostracisme présente; ce qui guidera le choix d’une intervention efficace.

Ostracisme malveillant. Ce type s’apparente en fait à de l’intimidation. C’est le cas lorsque l’ostracisme est accompagné d’insultes et de moqueries. Généralement, il prend l’allure de la mobbing (harcèlement psychologique collectif). De façon habituelle, il puise sa source dans une certaine forme de discrimination. Ainsi, le groupe rejette la personne différente de lui en raison de ses valeurs, de son orientation sexuelle, de son origine culturelle, etc. En tant que gestionnaire et médiateur, il faut traiter ce type d’ostracisme comme de l’incivilité ou du harcèlement psychologique. Selon la gravité de la situation, les actions suivantes sont recommandées: 
  • Obtenir la version de la personne ostracisée, de celles qui adoptent un comportement répréhensible et des témoins, et voir quels sont les motivations des unes et des autres et les répercussions de part et d'autre.
  • Établir la nécessité de prendre des mesures administratives ou de protection.
  • Déterminer s'il y a lieu d'imposer des sanctions disciplinaires afin de préciser les attentes de l'organisation en matière d'attitudes jugées inacceptables.
  • Intervenir auprès des individus déviants dans le même objectif et auprès de la personne ostracisée pour envisager des changements potentiels.
  • Évaluer la possibilité d'offrir une ou des médiations entre la personne victime et celles qui exercent du harcèlement ou planifier une intervention de groupe afin que les protagonistes établissent leur vivre ensemble futur.
  • Faire un suivi des démarches accomplies dans le but de s'assurer que la situation est rétablie et au besoin, rectifier le tir.

Une forme d'ostracisme temporaire,
le time-out, est utilisée couramment 
dans les écoles et les maisons pour 
discipliner les enfants. 
(Photo : www.gettyimages.com)
Ostracisme normatif. Dans cette dynamique, l’objectif n’est pas d’humilier l’autre, mais de faire pression sur la victime pour qu'elle se conforme aux attentes d’un individu ou du groupe. On peut songer à l’exemple d'une personne qui «boude» son conjoint pour lui faire comprendre que son comportement est inacceptable. Avec ce type d’ostracisme, la nature de l’exclusion est temporaire et se termine avec le retour à la conformité avec les attentes. Tout comme l’exemple du couple, le boudeur ne vise pas à terminer la relation, mais plutôt à faire passer un message. Cette forme d’ostracisme se limite généralement à isoler passivement la cible et ne s’accompagne pas de tentative de briser son estime de soi. Il est également à noter que ce genre d'attitude n’est pas nécessairement planifié; elle peut n'être qu'une réaction plus ou moins instinctive du groupe. 

Malgré tout, dans certaines circonstances, l’ostracisme normatif peut devenir chronique si le processus de réconciliation n’a pas lieu. Le sentiment d’isolement de la victime s’accentue et des symptômes dépressifs et psychosomatiques peuvent apparaître. Parfois, la mise à l'écart peut se traduire par un rejet plus radical si le groupe a l’impression que le message ne passe pas. C’est ainsi que l’ostracisme peut se transformer en une forme de harcèlement, même si cela n’était pas l’intention de départ. 

Face à l’ostracisme normatif, les interventions du médiateur ou du gestionnaire seront différentes par rapport à celui qui revêt un caractère malveillant; d’où l’importance de bien cerner la forme qui correspond à la situation problématique. 

Repartir le processus de réconciliation. Comme l’ostracisme normatif est une stratégie maladroite pour demander à l’autre de se conformer aux attentes du groupe, l'intervenant doit être conscient de la fonction de l’ostracisme. Il ne s’agit pas de l’accepter, mais de rediriger l’énergie du groupe vers une manière plus saine de régler les frustrations. On doit donc encourager un dialogue de réconciliation. S’il est efficace, celui-ci mettra fin à la mauvaise façon de faire tout en réglant la frustration à l’origine du problème. Selon les recherches et l’expérience, les éléments suivants sont particulièrement utiles lors d’une intervention : 
  • On doit d’abord permettre à la personne ostracisée d’exprimer son malaise face au sentiment d’exclusion. Comme l’intention de départ du groupe n’est pas malveillante, les personnes qui ostracisent la victime sont généralement sensibles aux impacts négatifs de leurs gestes lorsqu’ils en prennent conscience. Cela les prédisposera pour la suite de l’intervention.
  • Il est ensuite stratégique de discuter des attentes déçues du groupe. On peut aborder l’appréciation de la performance de l’individu ostracisé. Peut-être est-elle sous-estimée? A-t-elle plutôt besoin d'être améliorée? On peut aussi discuter de la façon dont l’attitude ou des comportements de cette personne sont considérés. Que doit-on changer? Quand le groupe aura le sentiment que ces différents éléments redeviennent conformes aux attentes, le réflexe de mettre la victime à l'écart sera désamorcé. 
  • Par la suite, le groupe doit exprimer clairement son intention de cesser l'ostracisme et faire un effort pour réintégrer la personne exclue. Cela peut même prendre la forme d’excuses. Lorsque l’individu ostracisé aura l'impression que l'équipe est prête à l’accueillir, celui-ci sera davantage motivé à se conformer à ses attentes. 
  • Finalement, pour prévenir les futurs épisodes d’exclusion, le groupe s’engage à prendre l’habitude de discuter des attentes explicites et implicites au fur et à mesure que des malentendus surviennent. Cela limitera le recours à l’ostracisme pour induire des ajustements aux comportements jugés déviants. 

En ciblant mieux le type d’ostracisme, il est possible d'intervenir plus efficacement. Il n’est pas rare que la personne ostracisée n’ait qu’une vague idée de ce qu’on lui reproche. Il en est de même du groupe qui entretient la fausse impression que cette dernière dévie consciemment des attentes communes, voire qu'elle s’en fiche. Un dialogue facilité offre la possibilité de nommer et de clarifier les aspects qui ont engendré les déceptions. Non seulement permet-il de mettre fin à l’ostracisme, mais il peut également amener les gens à se réconcilier. Néanmoins, il ne faut quand même pas perdre de vue que l’ostracisme s'avère parfois malveillant et que les mesures disciplinaires sont alors plus appropriées. Distinguer entre les deux, c’est l’art du médiateur perspicace.


Référence

  • O'REILLY, Jane, ROBINSON, Sandra L., BERDAHL, Jennifer L., et al. Is negative attention better than no attention? The comparative effects of ostracism and harassment at work. Organization Science, 2014, vol. 26, no 3, p. 774-793.
  • QUADE, Matthew J., GREENBAUM, Rebecca L., et PETRENKO, Oleg V. “I don't want to be near you, unless…”: The interactive effect of unethical behavior and performance onto relationship conflict and workplace ostracism. Personnel Psychology, 2017, vol. 70, no 3, p. 675-709.
  • ROBINSON, Sandra L., O’REILLY, Jane, et WANG, Wei. Invisible at work: An integrated model of workplace ostracism. Journal of Management, 2013, vol. 39, no 1, p. 203-231.
  • WU, Chia-Huei, LIU, Jun, KWAN, Ho Kwong, et al. Why and when workplace ostracism inhibits organizational citizenship behaviors: An organizational identification perspective. Journal of Applied Psychology, 2016, vol. 101, no 3, p. 362.


Chronique complémentaire

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9 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour! Quel genre d'ostracisme est-ce lorsque l'équipe est rendue à déposer une plainte d'harcèlement psychologique contre la personne dont ils craignent les réactions? Cette dite personne allègue des faits ou entretien des perceptions sur la "malveillance" de l'ensemble du groupe alors que le groupe considère cette personne "de mauvaise foi" et mentionne qu'elle invente des situations ou leur prête de mauvaises intentions?

Jean Poitras a dit…

Bonjour. Nous ne sommes pas dans une logique apparente d'ostracisme dans ce cas. En effet, la personne n'est pas mise à l'écart par le groupe, mais en confrontation avec le celui-ci. Théoriquement, la victime subit passivement l’ostracisme. On aurait peut-être affaire ici à un bouc émissaire (si vraiment le groupe harcèle cette personne) ou peut-être une personnalité problématique (si elle invente réellement des histoires). Peut-être aussi quelque chose entre ces deux extrêmes. Évidemment, on ne peut faire un diagnostic avec si peu de détails et un blogue n’est certainement pas le meilleur endroit pour discuter de cas réels. Néanmoins, cela donne des idées pour des chroniques supplémentaires!

Anonyme a dit…

Bonjour !
J’hésite de mettre l’étiquette « personnalité problématique « 
mais parfois en tant que médiatrice j’arrive à un mur
et me demande si une consultation thérapeutique ne serait pas une meilleure
approche aux difficultés qu’une médiation. Face à une personne qui est
visiblement ostracisée, mais qui dit en même temps qu’elle souhaite qu’on lui
fiche la paix, se plaint des retards, babillages et autres défauts
de ses collègues, dont notamment une qui était auparavant une amie proche et est devenue
l’objet des remarques désobligeantes et rudes, comment faire?
Pourriez-vous nous faire part de vos reflections sur les personalités problematiques sur
le lieu de travail et le potentiel d’une culture de réconciliation ?
Merci !

Jean Poitras a dit…

En effet, on a souvent tendance à donner le titre de personnalité problématique aux personnes en conflits. Dans la littérature, on considère 3 types de personnalités toxiques : les narcissique envieux, le manipulateur machiavélique et le «Bully» Psychopathe. Parfois les gens ont des comportements difficiles non pas à cause de traits de personnalités, mais parce qu’ils sont pris dans un cycle d’action-réaction. Par exemple, l’agressivité peut être un mécanisme de défense.

Anonyme a dit…

Bonjour,

Quels conseils ou recommandations feriez-vous aux collaborateurs qui subissent l'ostracisme de leur hiérarchie, institué en méthode de management?

Jusque là, je ne vois que la fuite

Jean Poitras a dit…

L'ostracisme est une réaction de groupe qui implique des individus de même niveau. Quand un patron isole son employé, on ne parle pas d'ostracisme. L'isolement peut être une forme d'harcèlement, de congédiement déguisé ou encore un style de gestion déficient. De plus, si les gestionnaires isolent plusieurs employés, ce n'est pas de l'ostracisme (qui par définition vise une personne). C'est un problème de culture d'entreprise!

Anonyme a dit…

Bonjour
à la lecture de votre article je réalise que je suis victime d'ostracisme depuis un retour de maladie suite à un second burn out. Je suis isolée mise à l'écart des informations et des décisions collectives de l'équipe ce qui entrave largement mon travail. Fragile, j'ai été profondément blessée par la cohésion de l'équipe contre moi ce qui inclue des personnes que je pensais être des amis et je n'arrive pas à trouver de solution car d'une j'ai peur continuellement (ayant subi des agressions verbales). J'ai même tenté de faire des excuses (je ne sais pas vraiment pourquoi mais au cas où j'ai pu froisser des personnes) mais rien n'y fait. Je n'arrive pas à classer le type d'ostracisme dont je suis victime (malveillant ou normatif) mais le groupe a porter plainte contre moi à la direction et les instances du personnel ont abordé mon "cas" (DUP et CHSCT dont certains membres font partie de l'équipe) sans que j'en sois informée et ont même contacté le médecin du travail à mon sujet sans m'avertir ni même venir me voir pour connaitre ma vision des choses. Je ne sais plus quoi faire, les personnes que je pensais pouvoir m'aider en jouant le rôle de médiateur font des comptes-rendus à la directions et me disent de me faire interner (il semblerait que je sois devenue une personnalité difficile après 10 ans sans soucis ...). Il semblerait que j'empêche totalement le fonctionnement de l'équipe alors que depuis mars 2017 je tente de faire au mieux mon travail (quand j'ai des informations), je fais profile bas pour ne plus vexer qui que ce soir, bref je rase les murs en essayant de ne pas céder à une crise de panique quand je croise mes collègues. Une médiation semblait envisagée mais des membres de l'équipe sont contre menaçant de partir si on tente de me faire rester. que dois-je faire ?

Anonyme a dit…

Bonjour, est-ce que vous avez une chronique ou une lecture à recommander sur les types de personnalités tel que vous le mentionnez dans votre commentaire du 27 avril 2018, notamment sur les 3 types de personnalités toxiques : les narcissique envieux, le manipulateur machiavélique et le «Bully» Psychopathe.

Jean Poitras a dit…

La littérature la plus pertinente concerne la «Dark Triad» (vous pouvez utilisez ces mots clés). Voici un lien intéressant:
https://www.simplypsychology.org/dark-triad-personality.html