L'escalade d'un conflit est un processus d'accentuation des tactiques de pression et de coercition qui accroît l'antagonisme entre celles-ci. Par exemple, un parent met en retrait son enfant puis l'envoie dans sa chambre lorsque celui-ci ne se calme pas. L'enfant crie alors pour contester. Un gestionnaire donne un avis verbal, puis une sanction disciplinaire à un employé qui ne coopère pas. Celui-ci consulte son syndicat et dépose un grief. Deux pays accumulent les missiles nucléaires afin de dissuader l'autre, créant ainsi une course aux armements. Comme le démontre ces exemples, le mode d'escalade dépend d'une logique d'intensification des moyens de pression dans le but de faire céder l'autre.
Par contre, l'utilisation d'une tactique compétitive isolée ne constitue pas un mode d'escalade en soi. En effet, un faible niveau d'escalade peut être stratégique et avoir pour objectif de faciliter la résolution d'un conflit. Par exemple, une partie exagère ses demandes afin de se garder une marge de manœuvre pour les compromis. Un groupe de citoyens entreprend de lancer une pétition afin d'obtenir une rencontre avec un élu municipal pour exposer leurs préoccupations. Dans ces exemples, l'objectif est d'accroître la pression afin d'ouvrir ou de faciliter le dialogue. Ce n'est que lorsque les parties impliquées dans un conflit provoquent une intensification des stratégies compétitives dans le but de soumettre l'autre que l'on parlera d'escalade pathologique.
Pourquoi des parties s'engagent-elles dans un processus d'escalade pathologique? Il peut y avoir une question de tempérament. Certaines parties sont particulièrement quérulentes et la compétition est leur unique mode de gestion de conflits. Néanmoins, la raison la plus fréquente est un accident de parcours. Dans ces cas, les parties entrent dans un processus d'escalade par mauvais calcul ou encore à la suite d'un dérapage de leur stratégie. En effet, l'escalade stratégique est très risquée à cause de la tendance des parties à réagir négativement aux actes compétitifs. Par exemple, un syndicat fait une menace de grève dans le but d'encourager la partie patronale à amorcer des négociations. Celle-ci réplique plutôt avec un lockout. Il s'ensuit un bras de fer entre les deux parties. Pour comprendre l'escalade pathologique, il faut décoder le processus d'escalade.
Processus d'escalade
Dans la littérature, le processus d'escalade des conflits est conceptualisé autour du principe d'action-réaction. Les tactiques utilisées par une partie influenceront les choix stratégiques de l'autre, et vice-versa. Plus précisément, l'utilisation de méthodes compétitives entraînera une rivalité. Par exemple, lorsqu'une partie exagère ses demandes, l'autre réagit en amplifiant les obstacles aux concessions. Les deux parties ont alors l'impression que l'autre est intransigeant. Puisque les dispositions des parties se radicalisent à chaque itération du cycle, celui-ci a été qualifié de modèle des changements structuraux.
Figure 1: Le modèle des changements structuraux
Le modèle comprend deux composantes principales: les dispositions et les tactiques. Les dispositions constituent la manière dont une partie envisage le conflit, anticipe les réactions de l'autre et évalue le meilleur moyen de résoudre le conflit. Une disposition positive favorise l'ouverture à l'autre.
Par exemple, une partie accepte de rencontrer une autre partie parce qu'elle croit que celle-ci est favorable à un compromis. Par contre, une disposition négative entraînera plutôt une fermeture. Par exemple, une partie se conditionne à être inflexible car l'autre a la réputation d'être intraitable. Les tactiques sont les moyens utilisés par une partie pour résoudre le conflit de façon satisfaisante. Certaines tactiques seront cataloguées en tant que stratégie de coopération. Une partie reconnaît que les demandes de l'autre sont légitimes afin de montrer sa bonne foi. D'autres tactiques seront plutôt considérées compétitives. Une partie présente à l'autre un fait accompli afin de limiter les possibilités de concession. Le processus d'escalade résulte de l'interaction entre dispositions et tactiques.
Selon le modèle, la disposition d'une partie influence ses choix de tactiques. Par exemple, une partie qui croit que la manière forte est efficace pourra débuter les négociations avec des demandes exagérées. En retour, les tactiques utilisées par une partie déteindront sur les dispositions de l'autre. Dans l'exemple précédent, l'autre pourra conclure qu'il n'y a rien à faire avec la première partie et cherchera alors à rompre les discussions. Ainsi, la disposition de cette deuxième partie influencera alors son choix de tactiques par rapport au conflit. La boucle est complète alors que les tactiques altéreront les prédispositions initiales de la première partie. En poursuivant notre exemple, il y a fort à parier que la première partie réagira en posant un ultimatum à l'autre s'il refuse de négocier. Le cycle se répète alors, créant un processus d'escalade.
Le modèle prescrit deux axes pour contrôler et réduire l'escalade conflictuelle. D'abord, on peut modérer l'escalade en encadrant les comportements compétitifs des parties. Par exemple, un intervenant tempère les conversations et limite ainsi les accusations et les insultes. Ensuite, on peut rectifier les dispositions des parties en recadrant les perceptions, anticipations et interprétations du contexte. Par exemple, un intervenant aide une partie à mieux comprendre les actions de l'autre et limite ainsi les attributions de mauvaise foi. Cette nouvelle compréhension de la situation pourra mener la partie à poser des gestes d'ouverture, tel que proposer un compromis. Si la modération des comportements compétitifs est relativement simple, la modification des dispositions est plus complexe. En effet, pour corriger efficacement les dispositions des parties, il faut d'abord comprendre les facteurs de prédisposition à l'escalade pathologique des conflits.
Sources
- Folger, J.P, Poole, M.S. et R.K. Stutman. 2013. Working Through Conflict: Strategies for Relationships, Groups, and Organizations. Boston, MA: Pearson.
- Pruitt, D.G. 2008. «Conflict Escalation in Organizations». Dans The Psychology of Conflict and Conflict Management in Organizations, C. DeDreu et M. Gelfand (Eds.), New York: Lawrence Erlbaum Associates, chapitre 8.
- Pruitt, D.G. et S.H. Kim. 2004. Social Conflict: Escalation, Stalemate, and Settlement (Third edition). Boston, MA: McGraw-Hill.
Prochaine chronique: les facteurs de prédisposition à l'escalade
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