lundi 5 juin 2023

Dissonance cognitive et gestion de conflit : surmonter les résistances au changement

Par Jean Poitras

En tant que consultant en gestion de conflit, vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certaines personnes résistent au changement même si les faits s’avèrent clairs ? Pourquoi certains individus continuent-ils à adopter des comportements destructeurs même si elles savent qu’une solution de compromis se révèlerait bénéfique ? La réponse se trouve peut-être dans une théorie psychologique puissante appelée « dissonance cognitive », développée par Leon Festinger. Cette théorie explique comment la tension interne causée par le décalage entre nos actions et nos croyances peut influencer le processus de résolution des différends. En tant que consultants, comment pouvons-nous naviguer dans ce champ de bataille mental pour aider les gens à résoudre un conflit ?

La dissonance cognitive selon Leon Festinger représente le sentiment inconfortable qu’une personne éprouve lorsque ses pensées, valeurs ou sentiments ne coïncident pas avec ses actes. Ce dilemme intérieur pousse les gens à réduire leur malaise en ajustant soit leurs conceptions, soit leurs comportements. Une personne confrontée à ce phénomène dispose de deux options : changer ses croyances ou arrêter de poser certaines actions.

Dans les situations où les gens essaient de résoudre des conflits, la dissonance cognitive crée plusieurs problèmes. Par exemple, les individus peuvent résister au changement et éviter l’inconfort en restant à l’écart. Cela peut entraîner des obstacles involontaires au règlement des différends, car les parties peuvent ressentir que la dispute ne mérite pas d’être réglée. Par exemple, elles peuvent considérer l’autre personne comme indigne d’atteindre un accord ou ressentir une injustice qui n’a pas été correctement traitée. Ces perceptions ou sentiments peuvent s’avérer incompatibles avec l’idée de faire la paix avec l’autre partie, ce qui diminue leur motivation à résoudre le différend. Par conséquent, pour réduire la dissonance cognitive, les personnes peuvent choisir de rester passives dans le processus de résolution et même inconsciemment contribuer à son échec.

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Le phénomène s’avère plus complexe dans les conflits d’équipe que dans les conflits individuels. Cela se produit parce que les gens s’influencent mutuellement. Plus l’équipe est grande, plus la dissonance se montrera élevée. De plus, les opinions d’un clan se révèlent moins susceptibles de changer que celles d’un individu. Il est donc plus difficile pour un groupe de changer d’avis que de prendre des mesures concrètes. En d’autres termes, la dissonance cognitive dans un clan ne conduit généralement pas à un changement d’opinion, ce qui complique l’obtention d’un consensus.

Une raison supplémentaire pour laquelle le phénomène se révèle plus difficile à résoudre dans une équipe résulte du fait que les conseillers et conseillères se concentrent sur les conflits personnels au sein de l’équipe. C’est une erreur de ne pas considérer le contexte global de celui-ci. Par conséquent, les tensions ressenties par les individus en périphérie sont souvent ignorées, ce qui compromet les efforts de règlement des différends. En effet, l’attitude du groupe peut directement influencer la motivation des individus impliqués et également affecter la motivation de l’équipe à soutenir les efforts de résolution, en particulier lorsque les résultats immédiats ne se montrent pas évidents.

Lorsqu’un consultant ou une consultante essaie de traiter une rivalité de groupe, la dissonance cognitive peut poser deux défis importants :

Résistance au changement. Certaines personnes peuvent ne pas vouloir modifier leur comportement lorsqu’il s’agit de résoudre un conflit, car cela va à l’encontre de leurs croyances ou de l’opinion générale de leurs pairs. Pour éviter cela, il est utile d’impliquer tous les gens dans le processus de changement en organisant des activités communes et en facilitant la médiation entre les individus. Il est important de traiter à la fois les tensions entre les individus et la motivation du groupe à soutenir les efforts de règlement.

Vous pouvez réduire leur résistance au changement en aidant les parties à diminuer leur dissonance cognitive. Une stratégie efficace consiste à montrer que le différend s’avère courant et à souligner les pièges psychologiques ainsi que le rôle des émotions dans le maintien du conflit. Lorsque les parties réalisent qu’il est normal de ne pas trouver une solution par elles-mêmes et qu’elles rejettent moins la faute sur l’autre, elles seront plus ouvertes à trouver un compromis.

Engagement limité des cadres. Les décideurs et décideuses peuvent refuser d’admettre ou de reconnaître la réalité d’un conflit et de sa gravité afin de ne pas remettre en question leurs propres capacités à le résoudre. Lorsque les cadres ne s’impliquent pas suffisamment, il devient plus difficile de gérer les disputes, car leur soutien et leur participation se révèlent nécessaires pour allouer les ressources nécessaires à leur règlement. Les gestionnaires risquent d’abandonner leurs efforts pour rétablir un bon climat de travail dès que la situation se détériorera.

Il est important d’impliquer les cadres dans le dénouement des conflits en les faisant participer activement. Veillez à ce qu’ils soutiennent cette approche et comprennent leur rôle essentiel pour favoriser une communication ouverte et une culture du dialogue. En les invitant personnellement à prendre part aux exercices de groupe, vous leur permettez de s’approprier les conflits, ce qui réduit leur hésitation à s’impliquer. Vous les aidez à concilier leur rôle de leader avec votre intervention en présentant les différends de manière moins dramatique et en montrant des exemples de situations traités avec succès ailleurs.

Il est souvent observé une résolution partielle qui laisse subsister une amertume pouvant causer une dissonance cognitive. Cette dissonance crée une tension mentale qui entrave l’engagement des individus dans la solution future. En outre, l’ignorance de cette amertume par certains individus peut avoir des conséquences désastreuses. En se concentrant uniquement sur des solutions immédiates et temporaires pour résoudre les conflits, on ne fait qu’accentuer le sentiment que tout n’est pas complètement réglé.

Il est recommandé d’adopter une approche de règlement à long terme pour remédier à cette situation. Cette approche consiste à identifier et à traiter les causes organisationnelles du conflit. Il est possible d’introduire des stratégies complémentaires au lieu de rechercher uniquement des compromis pour atténuer les tensions à court terme. Par exemple, la révision des pratiques en ressources humaines peut aider les parties à dépasser les désaccords passés et à considérer la dispute comme une occasion pour résoudre des problèmes structurels. En liant le règlement à des objectifs plus vastes, l’amertume peut être réduite, car les parties auront le sentiment d’avoir tiré des leçons et qu’il y a moins de risques de voir la situation se reproduire.

En conclusion, la théorie de la dissonance cognitive de Leon Festinger offre une analyse utile pour comprendre les défis liés au dénouement des conflits. La dissonance cognitive peut entraîner une résistance au changement et un engagement limité des cadres, ce qui entrave la résolution des problèmes. En tant que consultant, vous pouvez surmonter ces défis en normalisant la situation conflictuelle, en impliquant les cadres et en adoptant une approche durable axée sur la résolution des causes profondes du différend. En réduisant la dissonance cognitive des parties prenantes, vous pouvez favoriser un environnement propice à des solutions et des changements positifs.


Références
  • HUGHES, Jan N. The application of cognitive dissonance theory to consultation. Journal of School Psychology, 1983, vol. 21, no 4, p. 349–357.
  • HUGHES, Jan N. Social psychology foundations of consultation. 1992.

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