mercredi 24 mai 2023

Que faire quand le contexte de travail est responsable de l’incivilité ?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

L’incivilité au travail n’est pas toujours due au comportement non éthique d’un supérieur ou aux mauvaises habitudes adoptées par les collègues entre eux. Parfois, c’est l’environnement dans lequel ils évoluent qui favorise de telles situations. S’il s’agit de pratiques incorrectes en gestion des ressources humaines ou encore d’une organisation du travail déficiente, il est alors possible d’éliminer les facteurs qui prédisposent à un climat d’incivilité. Mais dans certains cas, les causes sont associées à la nature intrinsèque de l'emploi. Il ne faut pas alors conclure qu’il n’y a rien à faire. Même si les options sont plus limitées, il existe quand même des stratégies possibles. Examinons plus en détails ces circonstances particulières.

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Contexte de travail propice à l’incivilité. Les recherches ont démontré que certaines caractéristiques d’un milieu de travail présentent une plus grande propension à l’émergence de l’incivilité. Règle générale, il s’agit d'éléments reliés au stress. Et comme les gens en situation de tension sont moins patients et souvent frustrés, la pression qu'ils ressentent peut se traduire en incivilité. Parmi les facteurs qui peuvent susciter une telle réaction, nous retrouvons trois éléments clés:
  • la surcharge de travail, surtout si celle-ci devient chronique
  • les changements majeurs dans les tâches et les processus, particulièrement s'ils créent de l’incertitude et de la confusion
  • l'ambigüité des rôles et la mauvaise coordination des tâches, notamment si cela cause des retards ou des problèmes de qualité
De plus, certaines autres caractéristiques de l'emploi ne sont pas nécessairement associées au stress, mais contribuent plutôt à limiter les moyens de réduire celui qui peut être éprouvé. Elles accentuent donc la probabilité que les tensions se manifestent par de l'incivilité. Les recherches ont mis en évidence deux facteurs en particulier :
  • le peu de contrôle sur son travail rend difficile, voire impossible, l’adaptation des conditions de travail (demande, changement et ambigüité) pour diminuer le stress
  • les faibles relations interpersonnelles (ex. rotation de personnel, grand nombre de surnuméraires ou de remplaçants) contribuent au sentiment d’isolement et augmentent l’impact individuel des gestes d’incivilité

Il est à noter que parfois les éléments mentionnés ci-dessus sont intrinsèques au travail, comme c’est le cas dans le milieu hospitalier. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas réduire les facteurs de risque, mais qu’il est improbable de pouvoir les éliminer complètement. Concrètement, cela signifie que certains contextes de travail, de par leur nature, sont plus susceptibles de générer des comportements d’incivilité si on n’y fait pas attention.

Le cercle vicieux de l’incivilité. Il semblerait que la relation entre le contexte de travail et la possibilité d'un manque de civilité ne soit pas aussi simple qu’on pourrait le croire. En fait, ce rapport ne serait pas linéaire, mais circulaire ! Si l'environnement peut favoriser l’incivilité, cette dernière détériore à son tour l'ambiance pour augmenter davantage les risques de son apparition. En effet, celle-ci détruit la qualité des relations entre les employés, ce qui par ricochet, enlève un de modérateurs de son éclosion. De plus, la rareté des communications à la suite de l’isolement des membres du personnel peut aussi accroître l’ambigüité des rôles, affaiblir la coordination des tâches et provoquer encore plus d’incivilité ! Bref, le phénomène peut renforcer les facteurs de prédisposition à sa résurgence, créant ainsi un cercle vicieux si rien n’est fait pour enrayer cette dynamique.

L’éléphant dans la pièce. Lorsque l’incivilité est associée au contexte de travail, la réaction des gens est souvent de ne pas aborder le sujet. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce réflexe : impression qu’il n’y a rien à faire de toute façon, peur d’ouvrir une boite de pandore et d'aggraver la situation, etc. Pourtant, une récente étude suggère que le fait de partager le vécu d’incivilité (i.e. reconnaître qu’il y a un problème), permettrait d'en limiter les impacts négatifs. En ne se sentant pas seul à vivre ces comportements, cela diminuerait l’impression que ceux-ci nous vise en particulier et modèrerait à la baisse leurs effets non souhaitables. Loin de là cependant, l’idée que d’en parler soit suffisant pour régler un climat d’incivilité. Néanmoins, compte tenu qu’il y a peu d’options pour modifier le contexte de travail, prévoir des espaces pour en discuter peut être une avenue intéressante, même si cela ne règle pas nécessairement le fond des choses.

Pour conclure sur le sujet, il faut se rappeler que de par leur structure, certains environnements de travail ont le potentiel de favoriser l’apparition d’incivilité dans les relations. Qui plus est, il peut être parfois très difficile de modifier ces contextes pour éliminer les facteurs de risque et éradiquer la culture qu'ils génèrent. Cela est d’autant plus vrai s'il s'y ajoute un fort taux de roulement (i.e. équipe non constante), car l'établissement de normes de groupe s'avère presque impossible. Malgré tout, il peut être important de ne pas ignorer le sujet. Par exemple, un gestionnaire peut aborder la question lors de réunions d’équipe. Le simple fait de parler du problème a un effet catharsis qui peut amoindrir les impacts. En effet, la pire stratégie serait de faire comme s'il n’existait pas. Ainsi que le dit le proverbe : «Cacher est une chose, se taire en est une autre.»


Références
  • REIO JR, Thomas G. et GHOSH, Rajashi. Antecedents and outcomes of workplace incivility: Implications for human resource development research and practice. Human Resource Development Quarterly, 2009, vol. 20, no 3, p. 237-264.
  • SCHILPZAND, Pauline, LEAVITT, Keith, et LIM, Sandy. Incivility hates company: Shared incivility attenuates rumination, stress, and psychological withdrawal by reducing self-blame. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 2016, vol. 133, p. 33-44.
  • TORKELSON, Eva, HOLM, Kristoffer, BÄCKSTRÖM, Martin, et al. Factors contributing to the perpetration of workplace incivility: The importance of organizational aspects and experiencing incivility from others. Work & Stress, 2016, vol. 30, no 2, p. 115-131.
  • VIOTTI, Sara, ESSENMACHER, Lynnette, HAMBLIN, Lydia E., et al. Testing the reciprocal associations among co-worker incivility, organisational inefficiency, and work-related exhaustion: A one-year, cross-lagged study. Work & Stress, 2018, vol. 32, no 4, p. 334-356.

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