lundi 28 août 2023

L’effet cobra : Quand les solutions engendrent de nouveaux conflits

Par Jean Poitras

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N’est-il pas ironique de constater que parfois le remède s’avère pire que le mal ? J’ai été témoin du phénomène de l’effet cobra et de ses implications en matière de gestion des conflits. On doit le nom du phénomène à une anecdote de l’Inde coloniale. Préoccupé par le nombre croissant de cobras à Delhi, le gouvernement britannique a fixé une récompense pour chaque serpent tué. Des esprits entreprenants ont alors élevé les serpents pour réclamer la récompense. Quand le gouvernement a découvert la supercherie, il a mis fin au programme. Les éleveurs ont alors relâché les reptiles excédentaires et le problème que la prime devait résoudre s’est retrouvé plutôt exacerbé ! L’effet cobra décrit donc une solution qui aggrave le problème en raison de résultats imprévus. J’ai vu cela se produire à plusieurs reprises, en particulier dans des conflits de groupe où les interventions censées apaiser les tensions alimentent par ricochet de nouveaux litiges.

En m’appuyant sur mon expérience, on peut répertorier trois manifestations classiques de l’effet cobra dans la stratégie de diagnostic ou de gestion d’un conflit de groupe :

Surenchère. J’ai observé des situations où, dans leur zèle à remédier à une situation, les cadres créent sans réfléchir un problème plus grave. Prenons par exemple une entreprise où des différends éclatent fréquemment à propos de la prise de décision. La réaction instinctive des cadres pourrait consister à exiger des décisions unanimes. Malgré sa bonne intention, cette approche pourrait étouffer l’efficacité et engendrer davantage de tensions en octroyant de facto un droit de veto à certaines personnes difficiles.

Solutions à court terme, pièges à long terme. Opter pour un correctif rapide est tentant. Pourtant, les solutions rapides peuvent être les précurseurs de problèmes plus enracinés plus tard. Par exemple, des chefs d’équipe qui espéraient apaiser les désaccords sur un projet ont réparti les tâches de façon indépendantes sans penser aux besoins de collaboration à long terme. En fin de compte, on a plutôt assisté à une augmentation des silos de communication et des malentendus.

Dépendance excessive aux mesures punitives. Selon mes observations, les actions punitives excessives se retournent souvent contre l’organisation. Craignant des représailles pour avoir admis des erreurs, le personnel pourrait commencer à les dissimuler, favorisant une culture de secret plutôt que de croissance et d’apprentissage. Les querelles deviennent alors larvées et minent davantage le climat de travail.

Pour éviter l’effet cobra, je recommande toujours une approche en trois volets :

Analyse holistique. S’attaquer au problème apparent sans sonder ses racines est une recette pour des disputes récurrentes. Par exemple, une querelle d’équipe à propos des retards pourrait nécessiter des règles plus strictes et une refonte de la communication ou une meilleure allocation des ressources. Cibler le bon nœud peut faire la différence entre une résolution ou une résurgence du conflit.

Implication des parties affectées en périphérie du conflit. Impliquer toutes les personnes impactées par l’évènement s’avère une stratégie judicieuse. Leur connaissance terrain se révèle souvent inestimable. Dans les organisations, je plaide régulièrement pour l’inclusion de personnes de divers départements lors de la prise de décisions majeures afin d’assurer une vision globale. Le syndicat s’avère souvent un allié précieux, car c’est dans son intérêt de régler les conflits entre les membres du personnel syndiqué.

Boucles de rétroaction. Toute intervention doit inclure un mécanisme d’évaluation de son efficacité. La mise en place de séances de rétroaction régulières peut empêcher les petits problèmes de se transformer en litiges majeurs. La difficulté avec l’effet cobra, c’est qu’il est trop tard quand les manifestations deviennent évidentes. Un bon système de monitorage permet de corriger le tir avant qu’une dynamique négative ne prenne racine.

En conclusion, saisir les subtilités de l’effet cobra est essentiel pour quiconque est engagé dans la gestion des conflits de groupe. Comprendre les problèmes sous-jacents, impliquer toutes les parties prenantes et revisiter et affiner constamment nos solutions est essentiel. En gardant ces principes à l’esprit, nous pouvons garantir que nos interventions répondent aux préoccupations immédiates et posent les bases d’environnements harmonieux et productifs à long terme. En règle générale, les solutions les plus solides impliquent toutes les parties prenantes, tout comme chaque fil s’avère nécessaire pour un filet solide.

Références

  • CHOWDHURY, Rajneesh. Systems thinking for management consultants: Introducing holistic flexibility. Springer Singapore, 2019.
  • WARCZAK JR, Patrick. The cobra effect: Kisor, Roberts, and the law of unintended consequences. Akron L. Rev., 2020, vol. 54, p. 111.
  • ZIGHAN, Saad. Mitigating the “Cobra Effect” when pursuing organizational resilience. Journal of Contingencies and Crisis Management, 2023.


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