lundi 8 avril 2019

Gestion des conflits: Les personnes qui tiennent lieu de confidentes aident-elles ou nuisent-elles?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Quand on parle d’une situation conflictuelle en milieu de travail, on fait généralement référence aux acteurs clés, c'est-à-dire aux individus impliqués dans le conflit et aux intervenants (médiateurs, gestionnaires, consultants). Il n’est pas rare qu’on oublie une catégorie importante, soit les personnes auxquelles les belligérants se confient. Malgré leur rôle souvent discret, celles-ci ont souvent une grande influence sur eux. Non seulement ces derniers cherchent-ils un support émotif auprès de leur confident, mais ils sont souvent influencés par les conseils qu'il leur donne. Un médiateur qui ignore sa fonction dans la dynamique conflictuelle se prive d'une pièce maîtresse du casse-tête quand vient le temps de planifier une intervention!

En situation de conflit, le confident c'est l'individu à qui l’on parle de ses frustrations, du bien-fondé de sa position et des difficultés qu'on éprouve dans les circonstances. En milieu de travail, il s'agit généralement de collègues de même niveau hiérarchique avec lesquels les personnes en conflit ont développé des liens d’amitié. Lors d'un différend, elles peuvent donc se tourner vers certains d'entre eux pour ventiler leurs insatisfactions et chercher un support émotif. Les recherches qui ont évalué l’impact de ces personnages sur la gestion des conflits démontrent qu’ils jouent en général un rôle positif. Mais leur influence n’est pas automatiquement constructive; cela dépend des comportements qu'ils adoptent. En effet, si certaines attitudes sont clairement aidantes, d’autres peuvent envenimer la situation conflictuelle. 

Comment le confident peut-il aider? De façon habituelle, on considère qu’il contribue à la résolution d’un conflit lorsqu’il aide l'un ou l'autre des protagonistes à mieux gérer ses émotions et à comprendre davantage le conflit ainsi que les options de résolution possibles. Plus spécifiquement, cet acteur peut jouer trois rôles utiles : 
  • Le confident permet à la personne qui se confie à lui de parler de sa frustration à une oreille attentive. Le fait pour celle-ci de s'exprimer lui donne l'opportunité de diminuer sa charge émotive et d’obtenir un support relationnel. Elle se sent alors moins seule dans la situation conflictuelle, et peut même être plus à l’aise de la régler en dialoguant avec son vis-à-vis. 
  • Le confident donne aussi l'occasion d’élargir la perspective. Tout en écoutant la confidence, il peut utiliser sa compréhension du contexte organisationnel, de même qu'une certaine psychologie et des intérêts des protagonistes, pour aider la personne à agrandir son analyse de la situation conflictuelle. Ce faisant, il lui permet d’adopter un point de vue plus propice à la recherche d’un compromis. 
  • Le confident favorise l'exploration d’une solution commune. Souvent, celui-ci étant partie prenante du climat de travail, il a un intérêt à ce que le conflit se règle. Il peut donc, tout en appuyant la personne en conflit, l'encourager à tenter un dialogue avec l’autre, voire à mettre un peu d’eau dans son vin.

Comment un confident peut-il nuire? Sans nécessairement s’en rendre compte, il peut cristalliser les positions d’un protagoniste et ainsi complexifier la résolution d’un conflit. Plus spécifiquement, il peut polariser sa vision de deux manières: 
  • Le confident radicalise les opinions. En démontrant de la sympathie envers la personne qui se confie à lui, il peut attiser l’antipathie envers l’autre. De plus, afin de ne pas la blesser, parfois, il ne confrontera pas ses perceptions. Il pourra même surenchérir sur celles-ci et sur ses opinions négatives. C’est alors qu’au lieu d’élargir sa perspective, il la cristallise. En effet, il y a une différence entre réconforter émotivement une personne et la conforter dans sa manière de voir les choses. 
  • Le confident participe au commérage. Après avoir écouté la version des faits qui lui ont été confiée, il peut être tentant de rapporter certains propos. C’est un peu comme si le confident cherchait lui aussi quelqu’un pour déverser son trop plein. Souvent, il n'est même pas conscient qu’en agissant ainsi, il alimente la machine à rumeur. Pour jouer un rôle positif, il doit donc avoir une bonne écoute, mais également faire preuve de discrétion. 
Qu’en est-il des confidents externes? Les ami(e)s à l’extérieur du bureau ou les membres de la famille peuvent aussi agir à titre de confidents pour les personnes en conflit. L’un des avantages est qu’il y a peu de chance que ceux-ci participent au commérage puisqu’ils ne sont pas en contact avec les collègues de celle qui se confie à eux. Par ailleurs, selon les études, ce type d'acteurs génère un impact positif moindre. En effet, il semblerait que parce que ces gens de l'externe accordent plutôt un support inconditionnel, plus souvent qu’autrement, ils radicalisent les opinions des protagonistes et peuvent même encourager une approche de confrontation ou d’évitement au lieu de favoriser la recherche d'un compromis. C’est ainsi qu'ils offrent généralement une bonne oreille où il est possible de se défouler, mais font peut de recadrage des perspectives et des opinions des personnes qui les consultent. 

Un médiateur avisé rencontrera donc, lorsque possible, les confidents des gens impliqués dans un conflit pour les «coacher» sur leur impact et surtout sur la meilleure manière d’aider leurs ami(e)s à se sortir de cette situation. Il ne s’agit pas ici de les recruter au service de l’agenda du médiateur, mais seulement de leur faire prendre conscience que certains comportements peuvent compliquer par inadvertance, la recherche d’un compromis. En effet, selon notre expérience, même si c’est parfois l’effet qu’ils provoquent, c’est rarement leur intention. 

De plus, en leur partageant les perspectives de solutions possibles ou encore des informations qui élargissent la compréhension de la situation, l'intervenant peut atteindre deux objectifs. D’abord, il aide les confidents à bien saisir les enjeux et les contraintes de la situation. Ensuite, il s’assure que les messages se transmettront indirectement aux protagonistes. En effet, il ne faut pas perdre de vue que la relation entre ceux-ci et les confidents est à double sens. Même si ces derniers jouent davantage un rôle d'écoute, parfois ils s’avèrent d’excellentes courroies de transmission d’information vers des personnes récalcitrantes! 


Références 
  • LINVILL, Jennifer S. et CONNAUGHTON, Stacey L. Coping with Workplace Incivility: A Qualitative Study of the Strategies Targets Utilize. In : The Routledge Handbook of Communication and Bullying. Routledge, 2018. p. 130-140. 
  • VOLKEMA, Roger J., BERGMANN, Thomas J., et FARQUHAR, Katherine. Use and impact of informal third-party discussions in interpersonal conflicts at work. Management Communication Quarterly, 1997, vol. 11, no 2, p. 185-216. 
  • ZHANG, Xiaolei, BOLLEN, Katalien, PEI, Rong, et al.Peacemaking at the workplace: a systematic review. Negotiation and conflict management research, 2018, vol. 11, no 3, p. 204-224.

1 commentaire:

Luc Proteau a dit…

Super article! J'ajouterais également qu'en tant que médiateur, il faut faire extrêmement attention aux clients qui nous considèrent comme un confident. Des clients qui cherchent des appuies auprès de ceux qui auront porté une oreille empathique à leur situation. Souvent ces personnes utiliseront des phrases telles que : "Vous êtes d'accord n'est-ce pas?" ou encore "Vous voyez bien que telle personne est mal intentionnée..."
Et c'est là que des balises claires deviennent plus que nécessaires.

Merci!