lundi 15 avril 2019

Médiation : Être positif, c’est aussi être stratégique!

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

En 1962, deux chercheurs japonais ont fait une expérience simple, mais spectaculaire. Ils ont frotté l’avant-bras de jeunes enfants avec des feuilles d'une plante provoquant de légères irritations de la peau. À un groupe, ils ont affirmé qu’il s’agissait de feuilles normales, tandis que dans l’autre, ils ont informé les petits de leur véritable effet. Dans le premier, aucun enfant n’a développé de réaction cutanée. Chez le second, presque tous les bambins ont présenté des rougeurs! C’est ainsi que les chercheurs ont démontré scientifiquement l’effet placebo. En médecine, il s'agit d'un phénomène classique. De même, il est utilisé en psychothérapie. Mais qu'en est-il dans un processus de médiation? Et si l’effet placebo pouvait être employé stratégiquement?

Effet placebo. Cette conséquence correspond au résultat bénéfique constaté après l'administration d'une substance ou la réalisation d'un acte thérapeutique, indépendamment de l'efficacité intrinsèque attendue du traitement. L’effet placebo a notamment été démontré par l’absorption d’une pilule de sucre par des patient(e)s auxquel(le)s on avait dit qu’il s’agissait d'un médicament contre la migraine. Bien que le cachet ne contenait aucun ingrédient médicinal, la plupart des personnes rapportaient ne plus avoir mal à la tête. C’est donc l’impression d’avoir été traitée qui les a soulagées. 

L’effet placebo a également été prouvé par des données objectives comme la baisse de pression artérielle. Son impact est donc bien réel et documenté. Il est à noter cependant que les études parlent d'incidences significatives, mais pas majeures. Aucun scientifique sérieux ne suggère pouvoir soigner des maladies graves comme le cancer avec l’effet placebo.

  L'impact d'un pacebo dépend de 
la manière dont il est présenté.
L’aspect le plus intéressant du phénomène est que les recherches ont établi qu'il peut être combiné avec un vrai traitement pour en augmenter l’efficacité! Dans des tests contrôlés, on donnait un véritable médicament à des patient(e)s à qui l’on précisait l'un des éléments suivants : soit qu'on leur indiquait qu'il les soulagerait, ou on leur disait simplement de prendre la pilule. Invariablement, l’impact thérapeutique était plus fort quand on affirmait que le remède fonctionnerait. 

Effet placebo et intervention. Cet effet ne se limite pas à la prise de médication. On a aussi démontré qu'il était efficace en contexte d’intervention thérapeutique, notamment en psychothérapie. Les patient(e)s à qui on indiquait qu’il(elle)s iraient mieux à la suite d'une rencontre, présentaient effectivement une meilleure condition que ceux auxquels on ne promettait rien, et ce, même si la démarche était de même nature dans les deux cas. C’est ce qui a amené plusieurs psychologues à affirmer que l’effet placebo devait être intégré aux interventions thérapeutiques. 

En situation de gestion de conflit, la manière dont les médiateur(trice)s exposent (ou font connaître) leurs interventions peut donc avoir un impact important sur l’efficacité celles-ci. Mais ce n’est pas aussi simple que de dire «cela marchera». Il faut comprendre le mécanisme de l’effet placebo pour en maximiser les retombées réelles. 

Stratégies pour maximiser l’effet placebo. Selon les recherches, celui-ci serait principalement relié à un phénomène d’anticipation positive. Le fait de croire qu’une intervention aura des impacts favorables entraîne des changements physiologiques et cognitifs qui prédisposent à ce qu'elle soit véritablement efficace et produise ce qui est attendu. C’est ainsi que l’un des facteurs principaux du rendement de l’effet placebo se situe tout simplement dans le fait que les personnes y portent foi. 

Selon les recherches, quatre stratégies de communication sont utiles pour donner de la crédibilité à un effet placebo:
  • Donner un pronostic positif de l’intervention. Sans faire de fausses promesses, il s’agit pour le(la) médiateur(trice) d’exprimer sa confiance quant au fait que le processus proposé portera fruit. L’idée est de créer une anticipation positive. Mais attention ! il faut que votre prévision soit crédible. Prédire que des ennemis jurés deviendront les meilleurs amis du monde créera plus de scepticisme qu’autre chose.
  • Cibler la réduction des symptômes plutôt que des transformations radicales. Les recherches démontrent que l’effet placebo est plus accentué lorsqu'on envisage la disparition d'indices négatifs plutôt que la prévision de changements positifs. En gestion de conflit, mieux vaut donc parler de réduction des tensions et des dysfonctionnements que de l’apparition d’une nouvelle ère d’amour et de collaboration.
  • Expliquer pourquoi le traitement sera efficace. Fournir une information précisant pourquoi une intervention fonctionne, donne de la crédibilité aux affirmations selon lesquelles le traitement produira des résultats. Comme en situation de conflit les personnes impliquées sont méfiantes, le(la) médiateur(trice) doit montrer en quoi les échanges qu'il(elle) animera (ou dirigera) réduiront les tensions et favoriseront les compromis.
  • Donner des consignes de changements de comportement. L’idée est de permettre aux gens de s’approprier l’effet placebo en leur suggérant de diminuer les comportements problématiques ou encore d’en adopter qui soient aidants. Il ne s’agit pas ici de leur demander des modifications radicales, mais simplement de les impliquer dans l’intervention en leur signifiant que ces légères mutations contribueront aux chances de succès du processus. 

Attention à l’effet nocebo. Il existe cependant un phénomène relié à l’antithèse de l’effet placebo appelé l’effet nocebo. Il s’agit d’une situation où les anticipations négatives d’une personne diminueront l’impact d’un traitement. Ainsi, un(e) intervenant(e) qui laisserait voir qu’il(elle) a des doutes quant aux résultats de sa démarche pourrait créer ce phénomène et en réduire l’efficacité! En contexte de gestion de conflit, il appert donc qu’il ne s'agit pas d'une bonne idée pour un(e) médiateur(trice) de dire aux personnes concernées par la situation qu’il(elle) croit qu'elle a peu de chance d’être réglée. En effet, même si cela est vrai, le fait de partager cette opinion rendrait son travail moins efficace. 

Par contre, il serait faux de conclure qu’on peut obtenir les résultats attendus en dépit d'une mauvaise intervention si on compense celle-ci par un effet placebo en affirmant qu’elle fonctionnera. Un(e) médiateur(trice) efficace est avant tout un(e) professionnel(le) qui sait diagnostiquer un conflit avec précision et qui choisit les meilleures stratégies de gestion en fonction des caractéristiques du différend. Ce que suggère cette chronique, c'est qu’un(e) médiateur(trice) avisé(e) peut amplifier l’impact positif de son travail en utilisant judicieusement l’effet placebo. L’idée est simplement de mieux prédisposer les participant(e)s aux procédés qu'il(elle) a déterminés. En fait, créer des anticipations positives chez ces personnes constitue une part importante du traitement d’une situation conflictuelle. D'autant plus que si l'intervenant(e) ne croit pas lui(elle)-même en la possibilité de régler le conflit, comment espérer qu'elles le feront davantage. 


Références 
  • BROWN, Walter A. Expectation, the placebo effect and the response to treatment. Rhode Island medical journal, 2015, vol. 98, no 5, p. 19. 
  • O'CONNELL, D. Sean. The placebo effect and psychotherapy. Psychotherapy: Theory, Research & Practice, 1983, vol. 20, no 3, p. 337. 
  • PETRIE, Keith J. et RIEF, Winfried. Psychobiological mechanisms of placebo and nocebo effects: pathways to improve treatments and reduce side effects. Annual review of psychology, 2019, vol. 70, p. 599-625.

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