dimanche 22 février 2015

Et si les conflits rendaient les gens momentanément stupides?

Par Jean Poitras, Ph.D.

Avez-vous déjà eu l'impression qu'en situation de conflit, votre interlocuteur semblait raisonner de façon plutôt stupide? Et si vous n'aviez pas tord? En effet, certaines recherches soutiennent l'hypothèse qu'en situation de conflits, les fonctions cognitives sont significativement diminuées. Il est donc fort probable que le raisonnement de votre interlocuteur soit amoindri. Le problème est que c'est également vrai pour vous! Il semble donc que l'expression «un dialogue de sourd» soit tout à fait justifiée. Pourquoi les conflits rendent-il les gens «stupides» et surtout que peut-on y faire?

Commençons par comprendre la mécanique du phénomène. Un conflit est une situation stressante qui peut provoquer une réaction colérique. Or cette émotion est associée à la sécrétion d'adrénaline, ce qui est une réaction physiologique tout à fait normale. Un des impacts de l'adrénaline est de diminuer l'afflux de sang vers le cortex frontal. Ainsi les fonctions cognitives supérieures sont diminuées pour favoriser les réactions instinctives, ce qui se traduit par une réduction significative de la capacité d'un individu à régler un problème. Certains auteurs avancent même une perte de QI pouvant atteindre juste qu'à 30 points en situation de stress! De façon imagée, cela veut dire que sous l'influence de l'adrénaline, un individu peut passer d'un niveau intellectuel normal à une déficience légère. Il va sans dire qu'essayer de résoudre une situation conflictuelle avec des fonctions cognitives amoindries n'est pas une formule gagnante.

La bonne nouvelle est que cette perte de capacité cognitive est temporaire. De plus, la littérature en gestion de conflits propose des stratégies simples pour favoriser le retour d'un raisonnement normal chez les protagonistes. Sans grande surprise, toutes les stratégies ont un objectif commun : diminuer le taux d'adrénaline dans le sang.

En voici quelques exemples :
  • Prendre le temps de se calmer avant d'aborder le problème
  • Amorcer une discussion difficile dans un contexte détendu
  • Ne pas revenir continuellement sur les sujets sensibles
  • Rester centré sur les objectifs à atteindre
  • Inclure une personne neutre pour modérer les discussions et éviter les dérapages

Une autre stratégie que j'aime utiliser en tant que médiateur consiste à expliquer l'impact de l'adrénaline aux parties. L'idée est de les sensibiliser à la dimension physiologique du conflit, c'est-à-dire à l'aspect inévitable du phénomène et, surtout, au fait qu'ils risquent d'être eux-mêmes affectés. Ainsi les individus interprètent de façon différente les actions de l'autre et sont plus conscients de l'importance d'éviter les accès de colère pour se concentrer plutôt sur la recherche d'une solution. Évidemment, tout cela repose sur la prémisse que le médiateur garde lui même son calme, ce qui n'est pas toujours évident avec les individus problématiques!


Références
  • GREENE, Ross W. The explosive child (5th edition). New York, NY : Harper Collins, 2014.
  • MARAVELAS, Anna. How to reduce workplace conflict and stress: How leaders and their employees can protect their sanity and productivity from tension and turf wars. Career Press, 2005.

1 commentaire:

Jacqueline LaBrie a dit…

Très intéressant encore une fois!
Je viens de lire un article traitant des biais cognitifs qui nuisent à la pensée rationnelle. Concept introduit par les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky qui explique les tendances à prendre des décisions irrationnelles...(source psychomédia-22 fév.)