samedi 7 mars 2015

Pourquoi les gens sont réticents à régler leurs conflits?

Par Frédéric Moisan, Ph.D., CRHA

On pourrait croire que toute personne impliquée dans un conflit est prête à le résoudre étant donné les coûts engendrés et les souffrances vécues. Or, ce n’est pas le cas. Par exemple, un couple engagé depuis longtemps dans une procédure de divorce peut préférer continuer à se battre devant le juge plutôt que de s’entendre à l’amiable à propos du partage de leurs biens et de la garde des enfants et ce, même si les frais d’honoraires des avocats dilapident complètement leur patrimoine et que cette dynamique conflictuelle affecte leurs enfants. Force est de constater que dans certains cas, les gens ne sont pas prêts à régler leur conflit. Comment peut-on expliquer ce phénomène qui peut sembler plutôt irrationnel?

La réponse est simple : parce que les gens ne sont pas suffisamment mûrs pour résoudre leur conflit. Ainsi la première étape de la résolution d'un conflit est de vouloir le régler. Des recherches ont démontré que trois facteurs clés doivent être présents pour susciter ce désir :

  • La motivation d’éviter une impasse douloureuse
  • L’optimisme qu’il existe une solution
  • Le désir de se tourner vers l’avenir

La formule proposée n'est cependant pas aussi simple qu'elle peut paraître. En effet, plusieurs phénomènes viennent polluer le raisonnement des parties. Par exemple, chaque partie doit réaliser qu’elle risque de « frapper un mur » si le conflit ne se règle pas. Or, la plupart des parties surestiment généralement leurs chances de gagner et ne réalisent pas les coûts engendrés pour elles-mêmes. Par surcroît, plus une personne investit du temps, de l’argent ou des efforts dans un conflit, plus elle est prête à se battre longtemps pour gagner. C'est ainsi que les parties en viennent à perdre de vue l'impasse associée au conflit.
 
Ensuite, les parties engagées dans un conflit peuvent ne pas voir qu’une solution s’avère possible pour différentes raisons. Par exemple, des efforts passés de réconciliation qui se sont avérés infructueux peuvent décourager à entamer une nouvelle discussion. À cet égard, il n'est pas rare d'entendre les parties en conflit dire qu'il n'y a rien à faire avec l'autre, justifiant ainsi le statut quo.
 
Le dernier facteur clé correspond au désir d’accepter la situation et de vouloir passer à autre chose. Or, certaines personnes impliquées dans un conflit se concentrent davantage sur le passé que sur l’avenir. Tourner la page veut souvent dire accepter d'abandonner des choses. Malheureusement certaines parties ne sont parfois pas prêtes à faire ce pas.
 
Lorsque les parties ne sont pas prêtes à s'engager dans un dialogue, la première intervention devrait consister à provoquer leur mûrissement. Voici quelques stratégies à cet effet :

  • Amener les parties à se projeter dans l’avenir afin qu’elles anticipent une catastrophe probable
  • Démontrer la bonne foi de l’autre partie qui est prête à résoudre
  • Demander aux parties de réfléchir sur les bénéfices potentiels d’une résolution

Évidemment, l’idée n’est pas de vouloir forcer les parties à régler, mais plutôt de les prédisposer. En fait, il est courant qu'une portion importante d'un processus de médiation soit consacrée au mûrissement des parties. C'est d'ailleurs une étape souvent difficile et la connaissance des facteurs clés est un atout précieux. De plus, il est important que le médiateur ne se laisse pas décourager par l'apparente résistance des parties. Après tout, comme le dit le proverbe : « Il n'est point de fruit qui ne soit amer avant de mûrir ».

Références
  •  POITRAS, Jean, BOWEN, Robert E., et BYRNE, Sean. Bringing horses to water? Overcoming bad relationships in the pre-negotiating stage of consensus building. Negotiation Journal, 2003, vol. 19, no 3, p. 251-263.
  • PRUITT, Dean G. Whither ripeness theory. Institute for Conflict Analysis, 2005.
  • RONDEAU, ALAIN. La gestion des conflits dans les organisations. Chanlat JF, L'individu dans l'organisation, Presses Universitaires de Laval, Editions Eska, 1990.
  • ZARTMAN, I. William. Ripeness: The hurting stalemate and beyond. International conflict resolution after the Cold War, 2000, p. 225-250.

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