La plupart des modèles de médiation présument que les deux parties souffrent d'un conflit commun et que celles-ci ressentent le même niveau de conflit. Une telle conceptualisation est en effet très pratique pour proposer des modèles simples de médiation. Mais est-ce que les deux parties en conflit ont toujours la même perception du conflit (i.e. conflit symétrique) comme les théories le présument? N'arriverait-il pas parfois qu'une partie perçoive le conflit comme important alors que l'autre le perçoive comme trivial (i.e. conflit asymétrique)? Les récentes recherches démontrent que non seulement les conflits peuvent être asymétriques, mais aussi que c'est la règle plutôt que l'exception ( Ufkes et al. 2012; Jehn et al. 2010). Quel est l'impact sur le processus de médiation?
L'impact d'une asymétrie entre les parties quant à la perception de la gravité du conflit est multiple. D'abord, il est plus difficile d'amorcer une médiation portant sur un conflit asymétrique (Ufkes et al. 2012). La partie, pour qui le conflit est moins important, refuse généralement de participer, au grand dam de l'autre partie et du médiateur. Ensuite, les médiations portant sur des conflits asymétriques produisent généralement des ententes moins satisfaisantes pour les deux parties (Jehn et al. 2006; Jehn et al. 2010). Évidemment, plus l'écart de perception est important, plus le degré de satisfaction sera affecté. Fait intéressant: les deux parties sont déçues pour des raisons très différentes.
Pour la partie qui perçoit le conflit comme étant plus important, le principal facteur qui induit une faible satisfaction avec la médiation est une impression d'injustice distributive (i.e. les coûts ne sont pas partagés équitablement). En effet, celle-ci a l'impression qu'il est injuste que l'autre ne ressente pas le conflit de façon aussi intense qu'elle. Pourquoi est-elle la seule à souffrir? Ainsi, elle cherchera à provoquer l'autre pour lui faire «ressentir» le conflit. Lorsqu'il y a entente, ce sentiment d'injustice donnera un arrière goût amer: l'autre s'en tire à bon compte.
Pour la partie qui perçoit le conflit comme étant moins important, le principal facteur qui induit une faible satisfaction avec la médiation est une impression d'injustice procédurale (i.e. le processus est biaisé en faveur de l'autre). En effet, comme le médiateur prend davantage de temps pour consoler ou encore supporter la partie plus affectée par le conflit, la partie moins affectée a l'impression que le médiateur est biaisé. Elle se méfie alors de celui-ci qui, selon elle, semble favoriser l'autre partie qui «joue à la victime». Lorsqu'il y a entente, ce sentiment d'injustice donnera l'impression, que malgré l'entente, tous les points de vue n'ont pas été considérés de façon équivalente.
Conséquemment, le médiateur qui ne considère pas le phénomène d'asymétrie conflictuelle risque de faire des choix stratégiques moins efficaces, principalement en portant trop attention à la partie qui éprouve une plus grande détresse face au conflit. La partie qui perçoit moins de conflit se sent alors moins considéré que l'autre. La partie qui perçoit un plus grand niveau de conflit se sent réconfortée par le médiateur, mais aussi confortée dans son impression qu'elle souffre davantage que l'autre! Le médiateur se retrouve alors donc coincé dans une dynamique négative complexe, mais combien fréquente!
Références
- Ufkes , E.G., Giebels, E. , Otten, S. And K. I. Van der Zee. 2012. «The Effectiveness of a Mediation Program in Symmetrical versus Asymmetrical Neighbor-to-Neighbor Conflicts», International Journal of Conflict Management, 23 (4), pp. 230-257.
- Jehn, K.A., Ruoert, J. And A. Nauta. 2006. «The effects of conflict asymmetry on mediation outcomes: Satisfaction, work motivation and absenteeism», International Journal of Conflict Management, 17 (2), pp. 96-109.
- Jehn, K.A., Rupert, J., Nauta, A. and S. van den Bossche. 2010. «Crooked conflicts: The effect of conflict asymmetry in mediation», Negotiation and Conflict Management Research, 3 (4), pp. 338-357.
5 commentaires:
Une solution possible serait de faire état avec les deux parties de cette différence de perception en cherchant ensuite à les amener à respecter cette différence dans une perspective de respect mutuel.
je trouve intéressant le commentaire d'André. La question que je me pose est la suivante. Puisque nous sommes ici en présence d'une problématique de perception est-ce que le fait de prendre en considération cette différence ne va-t-elle pas implicitement renforcer la problématique en question ? ne serait-il pas plus judicieux selon mon point de vue de travailler sur cette inférence (lecture de pensée) ?
je trouve très intéressant le commentaire apporté par André. Selon mon point de vue nous sommes ici dans une problématique de perception et d'inférences cognitives, (vision subjective). Une autre stratégie serait de travailler sur ces inférences (souvent arbitraires, identifier les croyances etc..) en clarifiant les attributions de chacun quant à la situation.
Selon moi il ne faut jamais prendre pour acquis que le conflit est symétrique. Il est important de débuter par une bonne amorce afin de formuler en termes clairs les enjeux du conflit et faire le point sur le problème.
En admettant le problème résolu que les deux parties acceptent d'entrer dans une médiation librement et volontairement !!..il me semble que la posture de tout médiateur est d'être "indépendant, neutre et impartial".
Alors ici (disymétrie des évaluations par chacun de l'importance du conflit et de ses conséquences) pour moi le rôle du médiateur sera de faire s'exprimer ces évaluations divergentes par l'un et l'autre pour qu'elles soient "entendues". NB Le fait "d'entendre" n'implique pas le fait "d'être d'accord" avec l'autre. Il s'agit en fait de "reconnaitre" le point de vue et le ressenti, pas "d'être d'accord sur...".
Dès lors, la symétrie des intérêts à résoudre le conflit pourrait être établie, et l'on pourrait passer à la suite du processus de médiation.
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