dimanche 30 septembre 2012

Comment utiliser les dates butoirs en négociation?

Par Jean Poitras, Ph.D.

Dans plusieurs livres portant sur la négociation, on conseille de ne jamais révéler ses dates butoirs (i.e. «deadline») sous peine de nuire grandement à ses chances d'obtenir une entente avantageuse. En effet, la sagesse populaire suggère qu'un négociateur qui dévoile à quel moment une entente devient plus compliquée, voire impossible, se place en position de faiblesse. Ainsi, son vis-à-vis pourra faire jouer le temps en sa faveur et forcer le négociateur imprudent à faire des concessions douloureuses pour obtenir une entente à l'approche de la date butoir. Si ce conseil fait du sens intuitivement, il en est autrement empiriquement. En effet, des récentes recherches ont démontrés que le fait de dévoiler sa date butoir pouvait être avantageux pour un négociateur (Moore, 2004; Gina et Moore 2008a, 2008b).

Plus spécifiquement, ces recherches ont démontré que les négociateurs qui révèlent leur date butoir obtiennent des résultats bonifiés de 21.5% par rapport à ceux qui gardent cette information confidentielle. De plus, les négociateurs qui partagent leur date butoir ont un taux d'impasse des négociations de seulement 5% comparativement à 24% pour ceux qui préfèrent ne pas révéler cette information. Selon Gina et Moore (2008b), une vision myope des négociateurs quant à l'impact de révéler sa date butoir expliquerait la réticence à révéler cette information, malgré les avantages.

Ainsi, les négociateurs anticipent avec justesse que la date butoir les forcera à précipiter le rythme et le niveau de concessions, mais oublient de considérer que celle-ci incitera également l'autre à accélérer le rythme. Lorsque la date butoir est gardée confidentielle, une seule partie subit la pression. Lorsque la date est partagée, alors la pression est mutualisée. Le négociateur avec la date butoir n'est alors plus le seul à accélérer le rythme et ne se retrouve ainsi pas désavantagé par rapport à l'autre. Les auteurs concluent que contrairement au mythe, mieux vaut révéler ses dates butoirs en négociation.

Cependant, l'équation n'est pas aussi simple. Si le fait de partager sa date butoir en négociation avec l'autre accélère le rythme et réduit le taux d'impasse, cela réduit également le niveau de créativité et l'intégration des intérêts des parties (Gina et Moore, 2008a). En effet, une date butoir court-circuite généralement l'exploration des intérêts et précipite la recherche de solutions. En conséquence, révéler une date butoir est bien, mais il faut aussi choisir le bon moment pour partager cette information!


Références 
  • Gino, F. et D. Moore. 2008a. «Why negotiators should reveal their deadlines: Disclosing weaknesses can make you stronger», Negotiation and Conflict Management Research, Vol. 1, No. 1, pp. 77-96. 
  • Gino, F. et D. Moore. 2008b. «Using final deadlines strategically in negotiation», Negotiation and Conflict Management Research, Vol. 1, No. 4, pp. 371-388. 
  • Moore, D. 2004.«Myopic prediction, self-destructive secrecy, and the unexpected benefits of revealing final deadlines in negotiation», Organizational Behavior and Human Decision Processes, Vol. 94, No. 2, pp.125-139.

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