Par Jean Poitras, Ph.D.

En chimie, un catalyseur sert à accélérer une réaction entre deux réactifs sans se transformer lui-même. Si l’on transpose cette idée au domaine des conflits, on peut dire qu’un médiateur joue un rôle similaire : il accélère les négociations et facilite l’interaction entre deux parties, sans prendre parti. Voici comment les cinq grands types de situations chimiques trouvent leur équivalent social et leur version « médiation ».
Quand la réaction n’arrive pas à
démarrer
Il arrive qu’une réaction chimique exige
tellement d’énergie au départ qu’elle ne se produit presque pas. Dans ces
cas-là, on utilise un catalyseur qui “donne un coup de pouce” pour réduire la
quantité d’énergie nécessaire. L’équivalent social apparaît lorsque deux
personnes sont tellement chargées émotionnellement qu’elles ne peuvent même pas
commencer à se parler. Le médiateur devient alors un « apaiseur » :
il diminue la tension, fait retomber la charge affective et permet au dialogue
de démarrer. Sans ce travail, aucune discussion rationnelle n’est possible.
Stratégies d’apaisement :
- Normaliser la
réaction des personnes pour diminuer la honte, la colère ou la défensive.
- Ralentir le rythme
de la rencontre afin que chacun retrouve un minimum de contrôle
émotionnel.
- Utiliser une
reformulation apaisante pour remettre de la clarté là où tout est confus.
Quand les réactifs ne se rencontrent pas
Certaines réactions ne se produisent pas
parce que les réactifs ne peuvent simplement pas se rencontrer seuls. En
chimie, on utilise alors une surface — un catalyseur hétérogène — sur laquelle
ils peuvent se déposer, ce qui les rapproche. Socialement, on retrouve cette
situation quand deux personnes ne peuvent plus se parler directement mais ont
confiance en une même tierce personne. Le médiateur joue alors le rôle du pont
relationnel : il devient le lieu sûr par lequel l’échange peut reprendre, parce
que chacun accepte de passer par lui.
Stratégies de pont relationnel :
- Créer un espace de
parole séparé en caucus, puis reformuler l’essentiel de manière neutre en
séante conjointe.
- Servir
d’intermédiaire émotionnel en développant une relation de confiance avec
les deux parties.
- Utiliser des
“phrases-passerelles”, ex. « Je vais vous résumer ce qu’il veut vraiment
dire ».
Quand les réactifs sont mal orientés
D’autres réactions échouent non pas par
manque d’énergie, mais parce que les molécules sont mal positionnées. Les
enzymes, catalyseurs très précis, orientent les réactifs de la bonne façon pour
que la réaction se produise. L’équivalent social survient lorsque les personnes
ne savent plus dans quelle direction aller, ni comment faire progresser la
conversation. Le médiateur devient alors le guide : il oriente subtilement les
échanges, structure les étapes et aide chacun à trouver une voie vers une zone
d’entente possible.
Stratégies pour guider ;
- Poser des questions
orientantes qui rapprochent des enjeux plutôt que des positions.
- Clarifier les
objectifs communs, même partiels, pour créer un point d’ancrage.
- Ramener doucement le
groupe sur la bonne piste lorsque la conversation s’égare.
Quand les réactifs doivent être
transformés un peu
Dans certaines réactions, les réactifs ont
besoin d’être modifiés temporairement pour pouvoir réagir. Un catalyseur
homogène se lie brièvement à eux, forme un complexe intermédiaire, puis se
détache. Socialement, cela correspond au moment où les personnes ont des
priorités floues, contradictoires ou mal alignées. Le médiateur adopte alors le
rôle du recadreur : il aide à clarifier ce qui compte vraiment, à faire émerger
les priorités ou à les réorganiser. Cette mise au point change la dynamique de
la conversation et permet d’avancer.
Stratégies pour recadrer :
- Poser des questions
de priorisation, ex. « Qu’est-ce qui est le plus important pour vous ? »
- Identifier les
besoins réels derrière les demandes, pour éviter les faux débats.
- Ramener la
conversation aux enjeux essentiels, lorsque les discussions s’éparpillent.
Quand quelque chose bloque la réaction
Enfin, certaines réactions sont inhibées
par des impuretés ou des “poisons” catalytiques. On utilise alors un catalyseur
robuste, qui peut fonctionner malgré ces obstacles. Dans un conflit, ces
“impuretés” prennent la forme de non-dits, de tabous ou de sujets trop délicats
pour être abordés spontanément. Le médiateur devient dans ce cas le déclencheur
: il met sur la table le sujet que tout le monde connaît mais que personne
n’ose nommer. En le faisant émerger au bon moment, il débloque la situation et
permet d’aborder enfin les vrais enjeux.
Stratégies pour déclencher des
conversations difficiles :
- Nommer prudemment le
sujet tabou, en le présentant comme une invitation et non comme une
attaque.
- Proposer une
hypothèse sensible, ex. « Est-ce que c’est possible que… ? »
- Relancer la
discussion au moment stratégique, quand les parties sont suffisamment
stables pour l’affronter.
Conclusion : la leçon essentielle
Ce modèle révèle une vérité fondamentale,
valable autant en chimie qu’en médiation : un catalyseur ne crée jamais une réaction. Il ne fait qu’accélérer une réaction
déjà possible. Exactement comme un médiateur, qui ne peut pas inventer une relation ou une
volonté absente, mais qui peut identifier ce qui bloque la dynamique — tension,
rupture du lien, manque d’orientation, priorités floues ou tabous — et choisir
le rôle catalytique qui permettra de lever cet obstacle. C’est dans cette
capacité de repérage que réside le cœur du métier.
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