Par Jean Poitras, Ph.D.

Dans un groupe, un brainstorming débute presque toujours de
façon fluide : les idées s’accumulent, l’ambiance est ouverte et la
participation élevée. Mais dès qu’arrive le moment de choisir, tout se bloque.
Ce phénomène s’explique par un mécanisme psychosocial central :
l’identification cognitive. Les participants s’attachent à leurs idées, qui
deviennent liées à leur compétence et à leur place dans le groupe. Écarter une
idée peut alors être perçu comme une mise à l’écart personnelle, ce qui génère
résistance et ralentissement.
Je l’ai souvent constaté dans mes débuts comme facilitateur.
Tout allait bien en phase divergente, puis au moment de sélectionner, la
dynamique s’effondrait d’un coup. C’est en comprenant ce mécanisme sous-jacent
que j’ai réalisé que ce blocage n’était pas un accident, mais une transition
psychologiquement fragile. Cette prise de conscience m’a permis d’adapter ma
façon d’animer pour rendre cette transition plus fluide plutôt que de la subir.
Pour comprendre ce qui se passe, il faut distinguer deux
phases. La phase divergente, c’est le moment où le groupe génère librement
beaucoup d’idées, sans jugement : on ouvre, on explore. La phase convergente,
c’est le moment où on trie, on sélectionne, on élimine. Dans toute réunion de
résolution de problème, on doit passer de la phase divergente à la phase
convergente. Et c’est justement cette transition qui pose des problèmes, parce
que le groupe change alors de dynamique psychologique : on passe d’un mode
d’inclusion totale à un mode de choix, ce qui active les enjeux d’ego, de
reconnaissance et d’appartenance.
Psychologiquement, ce passage est délicat, surtout dans un
contexte de conflit. La transition déclenche plusieurs mécanismes connus : la réactance
(la résistance quand on sent qu’on perd du contrôle), la menace à l’estime
de soi, la menace au statut, et la dissonance identitaire.
C’est dans cet entre-deux que les gens argumentent, ralentissent ou bloquent.
Le problème ne vient donc pas du manque d’idées, mais de ce que la sélection
représente symboliquement.
Et honnêtement, je me suis moi-même fait prendre dans cette
étape de transition. Comme jeune facilitateur, j’étais tellement excité de voir
le brainstorming fonctionner que je voyais ça comme un signe que tout allait
bien. Puis, au moment de choisir, pouf : tout bloquait. Le groupe résistait, la
dynamique se refermait, et j’étais surpris chaque fois. C’est seulement plus
tard, en comprenant le mécanisme psychologique sous-jacent, que j’ai réalisé
que cette résistance était normale et prévisible. Cette compréhension m’a donné
des outils concrets pour gérer la transition et éviter que la rivière ne
devienne un mur infranchissable.
Et lorsque ces transitions sont mal gérées, surtout en
contexte de conflit, les conséquences sont sérieuses. Les groupes entrent alors
dans un cycle émotionnel dangereux : d’abord l’espoir (“peut-être qu’on va s’en
sortir”), puis la frustration (“on voit bien que l’autre groupe ne veut rien
savoir”), puis la conclusion hâtive qu’il n’y a plus rien à faire. Ce
va-et-vient répété finit par créer un véritable conditionnement du conflit.
Les gens cessent de croire que le changement est possible. Ils se retirent, se
protègent et s’investissent de moins en moins. À partir de ce point, le conflit n’est
plus seulement un désaccord : il devient un état d’esprit.
Pour aider le groupe à traverser cette transition, un petit
protocole en quatre étapes permet de réduire la résistance :
Protocole de transition
En conclusion, un bon facilitateur est d’abord quelqu’un qui
sait gérer cette transition entre la phase divergente et la phase convergente.
C’est l’étape cruciale d’une rencontre de résolution de conflit. On peut voir
ces deux phases comme deux berges d’une rivière : la berge de gauche, c’est la
divergence; la berge de droite, c’est la convergence. Entre les deux, il y a la
rivière — la transition. Et dans cette rivière, le courant de la résistance est
fort : c’est là que les gens craignent de perdre, se sentent menacés ou
freinent le mouvement. Sans accompagnement, ils n’arrivent pas à traverser. Un
bon facilitateur, c’est celui qui tient la corde, sécurise la traversée et
amène tout le monde de l’autre côté.
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