Par Jean Poitras, Ph. D. (HEC Montréal)
En psychologie cognitive, le sentiment de savoir est la sensation qu’une personne ressent lorsqu’elle pense pouvoir se rappeler une connaissance précise. Les recherches démontrent que ce sentiment est souvent peu corrélé au savoir réel. On peut donc être sûr de soi, mais complètement à côté de la plaque. Le phénomène peut être influencé par divers indices cognitifs comme la familiarité et les expériences passées. Comprendre celui-ci est essentiel pour saisir son impact sur les conflits interpersonnels.
En
effet, les impacts du sentiment de savoir sur les conflits sont multiples et
significatifs. Il peut augmenter la confiance et l’inflexibilité, intensifiant
ainsi les différends. De plus, ce sentiment peut fausser les souvenirs, rendant
plus difficile la résolution des conflits lorsque les parties ont des versions
contradictoires des événements. Enfin, il influence la communication et la
négociation, les individus étant moins enclins à écouter et à comprendre les
points de vue opposés lorsqu’ils sont convaincus de la véracité et de la
sagesse de leurs propres idées.
Facteurs
influençant le sentiment de savoir en contexte de conflit
Plusieurs
facteurs influencent le sentiment de savoir dans un contexte de conflit,
exacerbant ainsi les tensions.
Tout
d’abord, la confiance excessive, souvent associée à des traits de
personnalité tels que le narcissisme, peut mener à des désaccords profonds. Il
y a une corrélation très forte entre la confiance et le sentiment de savoir,
mais une corrélation très faible entre la confiance et la vérité. Par exemple,
un chef de projet sûr de lui peut rester convaincu d’avoir attribué une tâche
spécifique malgré les preuves contraires, refusant de reconsidérer sa position.
Ensuite,
le biais de confirmation joue un rôle crucial. En effet, l’attention
sélective peut amener les individus à renforcer leur conviction d’avoir raison
et ne choisissant que de se rappeler des éléments qui conforment leur point de
vue. Par exemple, deux collègues en désaccord peuvent se souvenir des réunions
passées en ne retenant que les commentaires qui soutiennent leurs propres
points de vue, compliquant ainsi la résolution du conflit.
Le
stress et la pression sont aussi des facteurs déterminants. Lors de
négociations tendues, les membres d’une équipe peuvent devenir rigides dans
leurs conceptions, croyant fermement se souvenir de détails précis malgré une
mémoire floue due au stress. Cela se produit parce que le stress peut affecter
la mémoire et la concentration, rendant les gens moins capables de voir la
situation de manière claire et précise.
La
dynamique de pouvoir influence également le sentiment de savoir. Les
gens en position d’autorité ont souvent l’impression d’en savoir plus que leur
subordonné. Un directeur convaincu d’avoir communiqué de façon claire les
objectifs d’un projet peut refuser d’écouter les plaintes de ses subordonnés,
croyant catégoriquement à la véracité de ses souvenirs en raison de sa poste
d’autorité.
Enfin,
l’influence des tiers peut exacerber les conflits. En effet, les
conseils de collègues ou d’amis peuvent souvent renforcer la position d’un
individu, le rendant plus inflexible. Cela peut se produire parce que ces
tierces parties, même en voulant aider, peuvent apporter des perspectives subjectives
ou partielles qui confirment les croyances initiales de l’individu en conflit.
Ainsi, plutôt que de favoriser une résolution pacifique, ces conseils peuvent
encourager une attitude de confrontation, aggravant ainsi le conflit.
Stratégies
pour gérer le sentiment de savoir en conflit
Pour
atténuer l’impact du sentiment de savoir dans les conflits, certaines
stratégies peuvent être mises en place.
La
première stratégie consiste à créer un environnement de négociation détendu et
neutre. Le stress et la pression pouvant rendre les individus plus rigides, il
est bénéfique de permettre des discussions sans pression immédiate. Par
exemple, proposer des pauses régulières et organiser les réunions dans des
lieux neutres peut aider à réduire les tensions et à faciliter une négociation
plus constructive.
Encourager
l’ouverture d’esprit tout en gérant l’orgueil est également crucial. Il est
important d’inciter les parties à envisager que leurs souvenirs ou perceptions
puissent être incorrects, sans pour autant menacer leur ego. Une stratégie
utile est de « normaliser » le phénomène et donnant des exemples. Par
exemple, un médiateur peut présenter des preuves avec tact en soulignant qu'il
est courant d'oublier certains détails en situation de conflit. Cette approche
permet au chef de projet de reconsidérer sa position sans perdre la face.
Enfin,
faciliter l’écoute active et la communication constructive peut réduire les
malentendus. En encourageant les parties à écouter et à résumer les points de
vue de l’autre, on améliore la compréhension mutuelle. Ici encore le médiateur
peut s’utiliser en posant des questions naïves qui permettent à tous de voir la
situation avec de nouveaux angles. Par exemple, demander aux collègues en
désaccord de résumer la position de l’autre avant de donner leur propre avis
peut garantir que chacun se sente entendu et clarifie les malentendus.
Conclusion
Le
sentiment de savoir, bien qu’invisible, joue un rôle puissant dans les conflits
interpersonnels. En comprenant ses mécanismes et en adoptant des stratégies
pour le gérer, il est possible de réduire son impact et de faciliter la
résolution des conflits. La clé réside dans la création d’un environnement de
négociation détendu, l’encouragement à l’ouverture d’esprit et la promotion de
l’écoute active. En maîtrisant ces éléments, il devient possible de naviguer plus
sereinement à travers les conflits, conduisant à des résolutions plus
harmonieuses et constructives.
Références
- Dunlosky, J., & Tauber, S. K. (2013). Understanding people’s metacognitive judgments: an isomechanism framework and its implications for applied and theoretical research. In T. Perfect & S. Lindsay (Eds.), Handbook of applied memory. Sage: Thousand Oaks, CA.
- Fischhoff, B. (1982). Debiasing. In D. Kahneman, P. Slovic, & A. Tversky (Eds.), Judgment under uncertainty: heuristics and biases (pp. 422–444). New York: Cambridge University Press.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire