vendredi 28 juin 2024

Le sentiment de savoir : un défi invisible dans la gestion des conflits

Par Jean Poitras, Ph. D. (HEC Montréal)

En psychologie cognitive, le sentiment de savoir est la sensation qu’une personne ressent lorsqu’elle pense pouvoir se rappeler une connaissance précise. Les recherches démontrent que ce sentiment est souvent peu corrélé au savoir réel. On peut donc être sûr de soi, mais complètement à côté de la plaque. Le phénomène peut être influencé par divers indices cognitifs comme la familiarité et les expériences passées. Comprendre celui-ci est essentiel pour saisir son impact sur les conflits interpersonnels.

En effet, les impacts du sentiment de savoir sur les conflits sont multiples et significatifs. Il peut augmenter la confiance et l’inflexibilité, intensifiant ainsi les différends. De plus, ce sentiment peut fausser les souvenirs, rendant plus difficile la résolution des conflits lorsque les parties ont des versions contradictoires des événements. Enfin, il influence la communication et la négociation, les individus étant moins enclins à écouter et à comprendre les points de vue opposés lorsqu’ils sont convaincus de la véracité et de la sagesse de leurs propres idées.

Facteurs influençant le sentiment de savoir en contexte de conflit

Plusieurs facteurs influencent le sentiment de savoir dans un contexte de conflit, exacerbant ainsi les tensions.

Tout d’abord, la confiance excessive, souvent associée à des traits de personnalité tels que le narcissisme, peut mener à des désaccords profonds. Il y a une corrélation très forte entre la confiance et le sentiment de savoir, mais une corrélation très faible entre la confiance et la vérité. Par exemple, un chef de projet sûr de lui peut rester convaincu d’avoir attribué une tâche spécifique malgré les preuves contraires, refusant de reconsidérer sa position.

Ensuite, le biais de confirmation joue un rôle crucial. En effet, l’attention sélective peut amener les individus à renforcer leur conviction d’avoir raison et ne choisissant que de se rappeler des éléments qui conforment leur point de vue. Par exemple, deux collègues en désaccord peuvent se souvenir des réunions passées en ne retenant que les commentaires qui soutiennent leurs propres points de vue, compliquant ainsi la résolution du conflit.

Le stress et la pression sont aussi des facteurs déterminants. Lors de négociations tendues, les membres d’une équipe peuvent devenir rigides dans leurs conceptions, croyant fermement se souvenir de détails précis malgré une mémoire floue due au stress. Cela se produit parce que le stress peut affecter la mémoire et la concentration, rendant les gens moins capables de voir la situation de manière claire et précise.

La dynamique de pouvoir influence également le sentiment de savoir. Les gens en position d’autorité ont souvent l’impression d’en savoir plus que leur subordonné. Un directeur convaincu d’avoir communiqué de façon claire les objectifs d’un projet peut refuser d’écouter les plaintes de ses subordonnés, croyant catégoriquement à la véracité de ses souvenirs en raison de sa poste d’autorité.

Enfin, l’influence des tiers peut exacerber les conflits. En effet, les conseils de collègues ou d’amis peuvent souvent renforcer la position d’un individu, le rendant plus inflexible. Cela peut se produire parce que ces tierces parties, même en voulant aider, peuvent apporter des perspectives subjectives ou partielles qui confirment les croyances initiales de l’individu en conflit. Ainsi, plutôt que de favoriser une résolution pacifique, ces conseils peuvent encourager une attitude de confrontation, aggravant ainsi le conflit.

Stratégies pour gérer le sentiment de savoir en conflit

Pour atténuer l’impact du sentiment de savoir dans les conflits, certaines stratégies peuvent être mises en place.

La première stratégie consiste à créer un environnement de négociation détendu et neutre. Le stress et la pression pouvant rendre les individus plus rigides, il est bénéfique de permettre des discussions sans pression immédiate. Par exemple, proposer des pauses régulières et organiser les réunions dans des lieux neutres peut aider à réduire les tensions et à faciliter une négociation plus constructive.

Encourager l’ouverture d’esprit tout en gérant l’orgueil est également crucial. Il est important d’inciter les parties à envisager que leurs souvenirs ou perceptions puissent être incorrects, sans pour autant menacer leur ego. Une stratégie utile est de « normaliser » le phénomène et donnant des exemples. Par exemple, un médiateur peut présenter des preuves avec tact en soulignant qu'il est courant d'oublier certains détails en situation de conflit. Cette approche permet au chef de projet de reconsidérer sa position sans perdre la face.

Enfin, faciliter l’écoute active et la communication constructive peut réduire les malentendus. En encourageant les parties à écouter et à résumer les points de vue de l’autre, on améliore la compréhension mutuelle. Ici encore le médiateur peut s’utiliser en posant des questions naïves qui permettent à tous de voir la situation avec de nouveaux angles. Par exemple, demander aux collègues en désaccord de résumer la position de l’autre avant de donner leur propre avis peut garantir que chacun se sente entendu et clarifie les malentendus.

Conclusion

Le sentiment de savoir, bien qu’invisible, joue un rôle puissant dans les conflits interpersonnels. En comprenant ses mécanismes et en adoptant des stratégies pour le gérer, il est possible de réduire son impact et de faciliter la résolution des conflits. La clé réside dans la création d’un environnement de négociation détendu, l’encouragement à l’ouverture d’esprit et la promotion de l’écoute active. En maîtrisant ces éléments, il devient possible de naviguer plus sereinement à travers les conflits, conduisant à des résolutions plus harmonieuses et constructives.


Références

  • Dunlosky, J., & Tauber, S. K. (2013). Understanding people’s metacognitive judgments: an isomechanism framework and its implications for applied and theoretical research. In T. Perfect & S. Lindsay (Eds.), Handbook of applied memory. Sage: Thousand Oaks, CA.
  • Fischhoff, B. (1982). Debiasing. In D. Kahneman, P. Slovic, & A. Tversky (Eds.), Judgment under uncertainty: heuristics and biases (pp. 422–444). New York: Cambridge University Press.

 

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