Par Jean Poitras, PhD. (HEC Montréal)
La loi
de Hamilton, bien connue en biologie pour expliquer les comportements
altruistes chez les animaux, trouve également une application pertinente dans
les contextes humains, notamment au travail. En tant qu'animaux sociaux, les
humains coopèrent pour obtenir des bénéfices communs. Les principes de coût et
de bénéfice de la coopération, tels que formulés par Hamilton, peuvent donc
être utilisés pour améliorer la collaboration dans les environnements
professionnels.
Selon la loi d’Hamilton, un comportement coopératif émergera dans un environnement de travail si le bénéfice collectif, pondéré par la qualité des relations entre les membres de l'équipe, dépasse le coût individuel supporté par ceux qui entreprennent de collaborer. Cette idée se traduit mathématiquement par l'équation suivante : rB > C, où r représente la qualité des relations entre les membres de l'équipe, B est le bénéfice individuel et/ou collectif résultant de l'action coopérative, et C est le coût individuel ou l'effort nécessaire pour entreprendre l'action coopérative.
Exemple 1 : La coopération a lieu
Dans une petite équipe de travail où tout le monde s'entend bien (r est élevé), un collègue propose de rester tard pour terminer un projet important. Le projet, s'il est fini à temps, rapportera un gros contrat à l'entreprise, ce qui bénéficiera à toute l'équipe (B est élevé). Le coût pour les collègues est de quelques heures de travail supplémentaires (C est modéré). Comme rB > C, la coopération a lieu.
Exemple 2 : La coopération n'a pas lieu
Dans une grande entreprise où les employés se connaissent à peine (r est faible), un employé demande de l'aide pour un projet qui ne concerne qu'une petite partie de l'entreprise. Le bénéfice collectif est faible et n'apporte pas grand-chose à l'équipe (B est faible). Le coût pour l'aider serait de travailler pendant le week-end (C est élevé). Comme rB < C, la coopération n'a pas lieu.
Si la
loi de Hamilton nous donne une base solide pour comprendre les dynamiques de
coopération, elle ne nous dit pas comment favoriser la collaboration en
pratique. C'est là que le modèle de Morten Hansen entre en jeu. Hansen propose
que pour qu'une collaboration soit efficace, les facteurs positifs (leviers)
doivent surmonter les facteurs négatifs (obstacles).
Les
éléments favorisant la coopération, comme la communication claire, la
confiance, et un leadership efficace, doivent surmonter les obstacles tels que
la mauvaise communication et le manque de confiance. Quand les leviers
surpassent les obstacles, la collaboration peut émerger. Par exemple, une
communication ouverte peut contrer des rôles flous. De même, le soutien des
collègues peut surmonter une charge de travail excessive et l'absence de
soutien. Tout est donc une question d’équilibre entre les leviers et les
obstacles.
Le
tableau suivant résume les principaux éléments de la formule de collaboration,
en identifiant les leviers qui favorisent une coopération efficace et les
barrières qui peuvent la freiner. Les facteurs de collaboration identifié par
Hansen sont directement associés aux principes de coût et bénéfice de la loi de
Hamilton, où l'équilibre entre les relations positives (r), les bénéfices (B)
et les coûts (C) joue un rôle crucial dans l'optimisation de la synergie au
sein des équipes.
Tableau 1 : Leviers et Barrières de la Coopération
COMPOSANTS |
LEVIERS |
BARRIÈRES |
Qualité des relation (r) |
·
Communication
ouverte ·
Confiance ·
Culture
de coopération ·
Rôles et
responsabilités clairs ·
Relations
positives |
·
Mauvaise
communication ·
Manque de
confiance ·
Culture individualiste ·
Rôles
flous ·
Relations
tendues |
Bénéfices attendus (B) |
· Satisfaction au travail · Reconnaissance · Bonus collectif · Objectifs clairs · Ressources disponibles · Compétences et expertise · Leadership efficace |
· Insatisfaction au travail · Manque de reconnaissance · Bonus individuel · Objectifs flous · Manque de ressources · Compétences inadéquates · Leadership inefficace |
Coût individuel de la collaboration (C) |
·
Charge de
travail raisonnable ·
Compétences
nécessaires acquises ·
Soutien
des collègues et supérieurs |
·
Charge de
travail excessive ·
Manque de
compétences ·
Absence
de soutien |
Voici
deux exemples simples illustrant comment la balance entre leviers et obstacles
peut déterminer le succès ou l’échec de la coopération au sein d’une équipe de
projet. Le premier exemple montre une situation où les leviers de coopération
sont bien présents, tandis que le second met en lumière les conséquences d'un
manque de ces leviers.
Exemple 1 : La coopération émerge
Dans cette équipe de projet, plusieurs leviers ont favorisé la coopération. La communication claire et régulière a permis à chaque membre de connaître ses responsabilités et de rester informé des avancées du projet. La confiance mutuelle a renforcé les relations positives, rendant les interactions plus fluides et constructives. Un leadership efficace a également joué un rôle crucial en répartissant les tâches de manière équitable et en définissant clairement les rôles. De plus, le soutien mutuel entre collègues a réduit le stress lié à la charge de travail, contribuant à un équilibre travail-vie personnelle satisfaisant. Ensemble, ces leviers ont permis de surmonter les obstacles potentiels à la collaboration et de mener le projet à bien dans les délais impartis.
Exemple 2 : La coopération n’émerge pas
Dans cette autre équipe de projet, les leviers nécessaires à une coopération efficace étaient absents ou insuffisants. La communication était mauvaise, ce qui a conduit à des malentendus et à une duplication du travail. Le manque de confiance entre les membres a créé des tensions et des relations tendues, empêchant toute collaboration constructive. Un leadership inefficace a exacerbé ces problèmes en ne définissant pas clairement les rôles et en ne répartissant pas équitablement les tâches. En l'absence de soutien mutuel, la charge de travail est devenue excessive pour certains membres, et le mauvais équilibre vie-travail a accentué le stress. Ces manques ont conduit à l'échec de la coopération et à l'incapacité de terminer le projet à temps.
En
intégrant les idées de Hamilton et Hansen, nous obtenons une compréhension plus
complète des mécanismes de la coopération. Cependant, pour une mise en œuvre
pratique et structurée, le modèle du champ de force de Kurt Lewin s'avère
particulièrement utile. Lewin propose une approche en quatre étapes pour gérer
la coopération au travail en équilibrant les forces propulsives (leviers) et
restrictives (obstacles). La logique du modèle est de changer l’équilibre des
forces (leviers et barrières), ce qui naturellement fera émerger la condition
désirée.
Identification des forces
L'objectif de cette étape est de dresser une liste des facteurs influençant la coopération. Il s'agit d'évaluer les forces propulsives et restrictives afin d'obtenir une liste des leviers et des barrières.
Phase de dégel
L'objectif de cette étape est de sensibiliser à l'importance de la collaboration et de préparer au changement. La liste des leviers et des barrières est utilisée pour identifier les domaines à améliorer, communiquer les bénéfices de la collaboration et obtenir l'engagement des parties prenantes.
Phase de changement
L'objectif de cette étape est de se concentrer sur les facteurs clés qui auront le plus grand impact, selon le principe de Pareto (80 % des résultats proviennent de 20 % des efforts). Pour cela, il faut améliorer la communication, construire la confiance, créer une culture de coopération, définir des rôles clairs, fixer des objectifs alignés et assurer les ressources nécessaires. Il est également essentiel de développer les compétences et de pratiquer un leadership efficace. En parallèle, il faut s'attaquer aux principaux obstacles en clarifiant les rôles, améliorant les relations et réalignant les objectifs conflictuels. Promouvoir un bon équilibre travail-vie personnelle et offrir un soutien adéquat complètent cette phase.
Phase de regel
L'objectif de cette étape est de stabiliser les nouveaux comportements et d'intégrer la collaboration dans les processus quotidiens. Il est important de suivre et d'évaluer les progrès, d'ajuster les stratégies selon les retours et d'assurer une collaboration durable et intégrée dans la culture de l'organisation.
En combinant les modèles de
coopération de Hamilton, Hansen et Lewin, les entreprises peuvent grandement
améliorer la collaboration au sein de leurs équipes. La loi de Hamilton nous
enseigne l'importance d'équilibrer les coûts et les bénéfices de la coopération.
Les idées de Hansen nous montrent comment les leviers positifs peuvent
surmonter les obstacles à la collaboration. Enfin, le modèle de Lewin offre une
approche structurée pour gérer ces dynamiques. La clé est d'identifier les
forces et les obstacles spécifiques à chaque équipe et de mettre en place des
actions concrètes pour renforcer les leviers et réduire les barrières. On
permet donc à la collaboration d’émerger en créant un contexte propice à son
éclosion.
Références :
·
Burnes, B. (2004).
"Kurt Lewin and the planned approach to change: A re-appraisal." Journal of
Management Studies, 41(6), 977-1002.
·
Fehr, E., &
Fischbacher, U. (2003). "The nature of human altruism." Nature,
425(6960), 785-791.
·
Hamilton, W. D.
(1964). "The Genetical Evolution of Social Behaviour I & II." Journal of
Theoretical Biology, 7(1), 1-16.
·
Hansen, M. T. (2009). Collaboration:
How Leaders Avoid the Traps, Create Unity, and Reap Big Results. Harvard
Business Review Press.
·
Lewin, K. (1947).
"Frontiers in Group Dynamics: Concept, Method and Reality in Social
Science; Social Equilibria and Social Change." Human
Relations, 1(1), 5-41.
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