lundi 1 mai 2023

L’effet multiplicateur de l’incivilité d’un superviseur

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Quel est le pire des deux : l’incivilité de la part d’un collège ou celle provenant de son superviseur ? Généralement, on fera référence à un climat d’incivilité sans nécessairement distinguer l'une ou l'autre situation. Après tout, une ambiance malsaine est souvent le résultat de l’ensemble de comportements répréhensibles. Pour sa part, la littérature divise ce phénomène en deux catégories : l’incivilité entre pairs et celle d’un gestionnaire envers ses subordonnés. En effet, les recherches démontrent que si les comportements et les attitudes associés à l’incivilité sont similaires dans chacun des cas, il existe des différences importantes sur le plan des impacts qu'ils génèrent. Dans la présente chronique, nous exposons l’effet particulièrement dévastateur de l’incivilité d’un superviseur sur la dynamique de groupe.

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Incivilité du superviseur. Le fait que ce mode d'interaction d’un supérieur implique une dimension hiérarchique donne une couleur particulière aux agissements d'incivilité. Lorsqu'un supérieur hiérarchique se comporte de manière incivile, cela peut amener l'employé à se sentir attaqué dans son image professionnelle et personnelle, remettre en question sa valeur au sein de l'entreprise.
 
Ces types de manifestations peuvent prendre diverses formes dont les suivantes :
  • ne pas faire d’effort pour inclure un subordonné dans les relations de camaraderie professionnelle, par exemple en évitant de le saluer ou en ne lui adressant pas la parole
  • faire preuve de condescendance envers les subalternes, notamment en leur parlant avec un air hautain et en minimisant la valeur de leur expérience et de leur contribution
  • démontrer peu d’intérêt pour leurs idées en leur coupant la parole ou encore, en rejetant leurs suggestions du revers de la main
  • faire des remarques désobligeantes sur la compétence d’un employé ou remettre en cause son jugement ou son expérience

Impact de l’incivilité d’un superviseur. Si l’incivilité n’est pas acceptable sous aucune forme, il n’en demeure pas moins que les recherches soulignent que celle qui est démontrée par un supérieur est davantage dommageable pour la dynamique d’un groupe. Ses effets sur les employés, qu’ils soient victimes ou simplement témoins, sont nombreux. Parmi ceux qui ont été documentés, nous retrouvons :
  • une difficulté pour les salariés à s’identifier aux valeurs de l’entreprise et le sentiment de devoir compromettre leurs propres valeurs en restant à l’emploi de l’organisation
  • une inhibition de leurs efforts visant à bâtir des relations avec les collègues; ce qui appauvrit le réseau de collaboration et d’entraide au travail, tout en contribuant au sentiment d’isolement
  • un frein à leur capacité d'oser demander à leur supérieur des clarifications lorsque les tâches ou les priorités leur apparaissent confuses; ce qui diminue leur possibilité de faire le travail selon les attentes

En plus de tous les impacts mentionnés, l’incivilité d’un superviseur a un effet multiplicateur sur celle que les employés peuvent adopter entre eux. En effet, les recherches indiquent que la principale cause de cette dernière provient du comportement répréhensible d'un gestionnaire. C’est donc dire que l’incivilité exprimée par un membre de la hiérarchie a un effet de percolation dans la dynamique d’un groupe. Conséquemment, elle constitue une cible d’intervention à privilégier pour redresser les travers d'une équipe.

L’effet paradoxal de la confiance. Il n’est pas rare d’entendre une personne de la direction justifier son inaction vis-à-vis un superviseur qui fait preuve d’incivilité par la compétence de ce dernier ou encore par le fait qu'il livre des «résultats». C’est un peu comme si son efficacité modérait à la baisse les impacts de son mauvais comportement, notamment parce que les employés seraient plus indulgents quand ils ont confiance en leur supérieur. Contrairement à cette perception, les études font plutôt état de l’effet inverse! Plus les employés perçoivent que leur gestionnaire est compétent et professionnel, plus ses attitudes d’incivilité auront un impact négatif sur la dynamique de groupe. Par conséquent, il est primordial de s’assurer que les supérieurs hiérarchiques les plus efficaces d’une organisation soient également ceux qui font davantage preuve de civilité!

Cependant, il serait faux de conclure que pour gérer un climat d’incivilité, il suffirait de gérer le comportement déviant du superviseur du groupe. En effet, on ne peut corriger la dynamique d'une équipe qu’en ne travaillant que sur une seule dimension. L’intervenant doit donc redresser les deux types d’incivilité; celle entre collèges à l'aide d'exercices de consolidation, tandis que celle du superviseur nécessite notamment du coaching. Néanmoins, ce que précise la littérature, c’est que la gestion de l’incivilité d’un supérieur constitue une dimension clé dans une intervention, particulièrement en raison de l’effet multiplicateur de celle-ci. Si elle n’est pas corrigée, il est peu probable que le manque de civilité entre collègues se résorbera. En ce sens, l’adage qui dit que «Le poisson pourrit par la tête» s'avère on ne plus vrai lorsqu'il est question d’un climat d’incivilité.


Références

  • GHOSH, Rajashi, REIO JR, Thomas G., et BANG, Hyejin. Reducing turnover intent: Supervisor and co-worker incivility and socialization-related learning. Human Resource Development International, 2013, vol. 16, no 2, p. 169-185.
  • JAWAHAR, I. M. et SCHREURS, Bert. Supervisor incivility and how it affects subordinates’ performance: a matter of trust. Personnel Review, 2018.
  • JIMÉNEZ, Paul, DUNKL, Anita, PEIßL, Sylvia, et al. Workplace incivility and its effects on value congruence, recovery-stress-state and the intention to quit. Psychology, 2015, vol. 6, no 14, p. 1930.

Chronique complémentaire 

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