vendredi 14 avril 2023

Comment l’empathie peut-elle contribuer à mettre fin au harcèlement ?

Par Jean Poitras

Lors de mon trajet vers le bureau, j’ai écouté un reportage à la radio concernant des actes de harcèlement inacceptables au sein d’une équipe sportive. Tous les interviewés disaient être surpris et n’avaient rien remarqué. Pourtant, les agressions se produisaient dans les vestiaires et dans un bus ! Cela m’a rappelé un conflit où les collègues prétendaient que la victime provoquait les incidents en essayant de se défendre ! La victime ment-elle dans le premier cas ? Les collègues se révèlent-ils de mauvaise foi dans l’autre ? Ou retrouvons-nous face à un phénomène psychologique qui perpétue les situations de harcèlement ? Si oui, comment le contrer pour créer des environnements de travail plus sains ? Examinons d’abord les phénomènes qui expliquent pourquoi les témoins de vexation ne semblent rien constater.

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En contexte de harcèlement, la cécité d'inattention se produit lorsqu’un individu n’aperçoit pas quelque chose qui s’avère pourtant visible, car son attention est portée ailleurs. Par exemple, un employé peut subir des comportements inconvenants tels que des remarques dégradantes de la part des collègues de travail. Cependant, sa superviseuse ne remarque pas ces comportements, car elle est trop concentrée sur les résultats et la performance de l’entreprise. Selon mon expérience, cela constitue une explication possible, mais peu fréquente.

Dans la plupart des situations, des processus psychologiques plus complexes poussent les témoins à nier les faits. Ces mécanismes bloquent d’instinct leur prise de conscience afin d’éviter la détresse émotionnelle ou la dissonance cognitive qui découleraient de la reconnaissance de persécutions. En d’autres termes, c’est la stratégie de l’autruche. Le déni peut alors se manifester de différentes façons :

Déni simple. Ignorer l’occurrence du harcèlement pour s’éviter de devoir agir. Prenons l’exemple de Paul, qui travaille dans un bureau où sa collègue Marie est victime de persécution de la part de leur supérieur, M. Dupont. Bien que plusieurs personnes aient déjà signalé ces incidents, Paul affirme ignorer ce qui se passe. Dans ce cas, Paul utilise le déni simple pour se protéger émotivement, en dépit des témoignages.

Minimiser l’événement. Reconnaître la réalité du harcèlement tout en réduisant l’importance pour se donner bonne conscience face à son inaction. Imaginons que Sophie travaille avec Pierre dans un bureau où leur supérieur, M. Martin, le harcèle. Plusieurs collègues ont déjà signalé le comportement inconvenant de M. Martin envers Pierre. Sophie admet avoir observé certaines situations, mais elle minimise leur gravité en affirmant que Pierre se révèle peut-être trop sensible.

Projection. Avec ce mécanisme de défense, l’on rend la victime responsable de ce qui lui arrive pour s’exonérer de tout blâme. Imaginons que Laura, collègue de Thomas, soit victime de vexation de la part de leur supérieure, Mme Leroy. Plusieurs personnes ont déjà signalé les comportements. Lorsqu’on demande à Thomas s’il a remarqué quelque chose, il admet avoir observé des remarques plutôt dures. Cependant, il rejette le blâme sur Laura pour avoir provoqué Mme Leroy par son attitude.

Ces mécanismes expliquent pourquoi les gens ne prennent pas conscience d’une persécution. Ils protègent l’individu de la perturbation qui serait associée à reconnaître leur inaction. Malheureusement, ils contribuent également au maintien de celui-ci. Les responsables des ressources humaines doivent donc prendre des mesures pour limiter ce phénomène si l’on veut limiter le harcèlement au travail.

Pour prévenir ces situations, une approche traditionnelle consiste à mettre en place une politique claire et précise contre les comportements inappropriés au sein de l’organisation. Cette politique doit être communiquée efficacement à tout le personnel et doit inclure des procédures pour signaler les cas de persécution. Cette approche contribue à créer une culture de groupe qui ne tolère pas le harcèlement. Lorsqu’on applique la politique avec rigueur, elle donne des résultats. Malgré tout, elle peut ne pas suffire à elle seule, car le déni se révèle un processus psychologique inconscient.

Selon des recherches en psychologie sociale, l’empathie constitue un moyen efficace pour prévenir la dénégation. Ainsi, les personnes devraient être encouragées à se mettre à la place des autres pour comprendre comment leurs actions peuvent entraîner des conséquences négatives. Cela peut aider à identifier les problèmes et à éviter le déni. En outre, l’empathie favorise un environnement de travail positif empreint de soutien et où la communication est ouverte. Les victimes et les témoins de persécution signaleront ainsi les incidents plus facilement, ce qui peut contribuer à régler les situations.

Les approches suivantes se révèlent des moyens reconnus pour développer la compassion dans un groupe :

Partager des expériences. Il est recommandé de favoriser la diffusion d’histoires en lien avec le harcèlement, notamment lors de sessions de formation. Cela peut être le formateur qui relate des anecdotes, ou encore les participants qui communiquent leurs expériences. Cette technique aide à éduquer les individus sur l’impact et la réalité du harcèlement en écoutant des témoignages de première main, rendant ainsi plus difficile de nier son existence ou sa gravité.

Jeux de rôle. Une autre stratégie consiste à mettre en place des exercices de jeu de rôle au sein desquels les gens incarnent différents personnages tels que la victime, le persécuteur et le spectateur. Cette stratégie peut permettre aux individus de mieux appréhender les émotions et les difficultés rencontrées par chacune des parties impliquées. Cela favorise alors le développement de l’empathie et augmente la chance qu’ils dénoncent les vexations lorsqu’ils l’observent.

Encourager l’écoute active. Il est recommandé de dispenser une formation sur les techniques d’écoute efficace. Celles-ci impliquent notamment d’accorder une attention totale à l’autre, de réfléchir sur le message et de répondre avec considération. Cela peut aider les personnes à mieux comprendre et à se mettre à la place de leurs collègues, réduisant ainsi les risques de déni.

Réfléchir sur ses biais. L’on encourage les individus à prendre du recul et à se questionner sur leurs biais quant au harcèlement, et à considérer comment ceux-ci pourraient contribuer aux dénégations. Cette pratique encourage la prise de conscience, et l’identification des angles morts afin de faciliter la reconnaissance des situations problématiques.

En conclusion, la cécité d'inattention et divers mécanismes de déni peuvent expliquer pourquoi certaines personnes ne distinguent pas le harcèlement au travail. Cependant, ces mécanismes perpétuent les vexations en empêchant sa dénonciation et sa résolution. Pour prévenir et contrer les brimades, promouvoir l’empathie s’avère une clé. Bien que la reconnaissance des persécutions puisse se révéler inconfortable, surmonter ces sentiments se montre nécessaire pour protéger les victimes et créer un environnement de travail respectueux. Comme le dit un proverbe chinois : « Les vérités qu’on aime le moins à apprendre sont celles qu’on a le plus d’intérêt à savoir. »


Références
  • FIELD, Tim. Bully in sight: How to predict, resist, challenge and combat workplace bullying: Overcoming the silence and denial by which abuse thrives. Success Unlimited, 1996.
  • STRAUSS, Susan. Denial, Blame, Betrayal, and the Conspiracy of Silence: Educator Sexual Harassment of K–12 Students. Victims of Sexual Assault and Abuse: Resources and Responses for Individuals and Families [2 volumes]: Resources and Responses for Individuals and Families, 2010, p. 1.
  • TODD, Andrew R., BODENHAUSEN, Galen V., et GALINSKY, Adam D. Perspective taking combats the denial of intergroup discrimination. Journal of Experimental Social Psychology, 2012, vol. 48, no 3, p. 738-745.

Chronique complémentaire
 

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