samedi 14 mars 2020

L’incivilité, tueur silencieux de la collaboration

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Lors d’une réunion, un collègue vous dit que votre idée est plutôt stupide. Dans les corridors de votre entreprise, les gens se saluent à peine. Lorsqu’un nouvel employé se joint à l’équipe, personne ne fait d’effort pour l’intégrer. Qu’est-ce que ces situations ont en commun? Elles sont toutes des exemples d’incivilité. Alors que le harcèlement a été largement étudié et fait l’objet de plusieurs publications, le manque de civilité a moins attiré l’attention. Il n’en demeure pas moins un phénomène associé aux dynamiques de groupe négatives. Malheureusement, on juge souvent à tort qu'il n’est pas assez grave pour nécessiter une intervention. Pourtant, gérer l’incivilité s'avère une stratégie qui peut rapporter beaucoup de dividendes pour une équipe. Encore faut-il dans un premier temps, comprendre en quoi elle consiste.

Il est plus facile de laisser l'incivilité
s'instaurer que de favoriser la civilité.
Source: www.marshallramsey.com
L’incivilité en milieu de travail. On peut la définir comme un comportement déviant des normes de respect mutuel. Ces manières d'agir témoignent typiquement d'un manque de considération pour les autres. Bien entendu, les règles de déférence réciproque peuvent varier d’une culture à l’autre et d’une entreprise à l’autre. On ne peut donc analyser l’incivilité sans tenir compte du contexte. De plus, certaines caractéristiques du concept méritent d’être précisées pour bien cerner le phénomène: 
  • L’incivilité est une forme d’agressivité passive puisqu’elle ne recèle pas d’intention malveillante. A contrario, s’il existe une volonté de blesser psychologiquement l’autre, on parlera plutôt de harcèlement.
  • L’incivilité est un phénomène de groupe, bien que l'intensité de celle-ci puisse varier d’un membre à l’autre. Si une seule personne manque de civilité, on parlera davantage de lacune ou d’incompétence interrelationnelle plutôt que d’un climat d’incivilité.
  • L’incivilité ne se définit pas seulement par la présence de comportements antisociaux (dénigrement, rudesse verbale, indifférence aux besoins des autres, etc.), mais aussi par l’absence d'attitudes prosociales (inclusion, respect, égards, politesse, etc.). Ainsi, dans un groupe où les membres font preuve de peu de considération les uns envers les autres, on estime qu'il y règne un climat d’incivilité même s’ils ne se dénigrent pas entre eux.

Impact de l’incivilité sur les individus. Travailler dans un climat d’incivilité aura des impacts sur divers aspects psychologiques et comportementaux des gens. Évidemment, ces retombées seront moins aigües que dans les cas de harcèlement. Néanmoins, lorsque le phénomène devient chronique, les effets ne sont pas négligeables. Dans la littérature, on note des conséquences principalement sur la satisfaction et l’engagement des employés. Ainsi, une telle ambiance… 
  • Engendre une insatisfaction générale par rapport aux relations avec les collègues, ce qui peut affecter la satisfaction envers son emploi
  • Favorise le retrait émotif des membres du groupe qui veulent ainsi s’isoler du climat négatif
  • Nourrit l’intention de quitter son emploi pour rechercher un milieu de travail plus convivial

Impact de l’incivilité sur le groupe. La dynamique d’un groupe dépend notamment de la somme des relations entre les membres de celui-ci. Ainsi, leur désengagement à l'égard des rapports sociaux aura une répercussion négative sur leur qualité de vie au travail. Lorsque les relations sont faibles ou négatives, le groupe est moins productif, voire dysfonctionnel. Cela est d’autant plus vrai si le travail d’équipe est une composante importante de la tâche. Ainsi, un climat d’incivilité… 
  • Érode la volonté de collaborer des membres d’un groupe: les gestes d’entraide spontanés seront rares et le manque de communication nuira à la coordination
  • Crée une culture du chacun pour soi qui peut s’avérer difficile à corriger
  • Diminue la capacité du groupe à autoréguler les conflits car personne ne veut s’investir dans la résolution des situations problématiques, surtout si elles ne les concernent pas directement

Ce bref survol de la littérature démontre l’importance pour les spécialistes en gestion des conflits de s’intéresser à l’incivilité. Qui plus est, il ne faut pas s'y limiter, mais porter aussi attention à l’absence de civilité. Bâtir une culture de relations civiles présente plusieurs avantages stratégiques pour les organisations. D’abord, un tel mode d'action permet de favoriser l’engagement et la rétention des employés. Ensuite, il constitue le socle nécessaire à l’instauration de la collaboration entre les membres d’une équipe. Finalement, puisque les individus d'un groupe qui entretiennent des liens sains et forts auront tendance à autoréguler leurs conflits, on peut considérer l’établissement d’un climat de civilité comme une stratégie efficace de prévention des différends. 


Références
  • CORTINA, Lilia M., MAGLEY, Vicki J., WILLIAMS, Jill Hunter, et al. Incivility in the workplace: Incidence and impact. Journal of occupational health psychology, 2001, vol. 6, no 1, p. 64.
  • PAULIN, Deanna et GRIFFIN, Barbara. Team Incivility Climate Scale: Development and validation of the team-level incivility climate construct. Group & Organization Management, 2017, vol. 42, no 3, p. 315-345.
  • PEARSON, Christine M., ANDERSSON, Lynne M., et WEGNER, Judith W. When workers flout convention: A study of workplace incivility. Human relations, 2001, vol. 54, no 11, p. 1387-1419. 

N.B. Afin de ne pas alourdir le texte, la forme du masculin a été privilégiée. 



Chronique complémentaire


1 commentaire:

Jacqueline Labrie a dit…

Très intéressant.
La valorisation de l'individualiste met à mal la civilité. Me, myself and I.
Promouvoir les règles de politesse les uns à l'égard des autres pourrait constituer une forme d'antidote à l'incivilité.