lundi 13 mai 2019

La présence d’avocat(e)s nuit-elle au processus de médiation?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Un des mythes importants chez les médiateur(trice)s est que la présence d’avocat(e)s nuit au processus de médiation. En effet, il(elle)s se plaignent régulièrement que cet ajout de personnes rend la démarche plus lourde et réduit les chances d’en arriver à une entente. Pourtant, une étude récente démontre que ce n'est pas nécessairement ce qui se produit. En comparant des médiations qui se sont déroulées entre les participant(e)s seulement et celles où des juristes les accompagnaient, aucune différence significative n’a été constatée quant au taux de règlements ni quant au degré de satisfaction en regard des ententes conclues.

Est-ce dire que les médiateur(trice)s entretiennent une perception complètement erronée de l’impact de la présence d’avocats sur le processus de médiation? Pas tout à fait. La même étude établit également que la durée moyenne d’une médiation s'allonge de 20% lorsque des juristes y participent. Si leur présence ne semble pas jouer sur le taux de règlements et le degré de satisfaction quant aux accords, il n’en demeure pas moins que le travail des médiateur(trice)s s’en trouve probablement complexifié. 

Autre ombre au tableau; dans les mêmes circonstances, la recherche révèle qu'il y aurait une diminution du nombre de réconciliations entre les participant(e)s.

Conséquemment, si le taux de règlements demeure similaire, il semblerait que la qualité des ententes (si on considère la réconciliation entre les personnes impliquées comme un indice de qualité) soit moindre lorsque des avocat(e)s sont présents. En effet, la quantité de ces accords entre les vis-à-vis diminue de près de 40% lorsque des avocat(e)s les représentent dans le cadre d’une médiation. 

L’explication la plus probable de ce phénomène vient peut-être de la tendance de ces professionnel(le)s à parler au nom de leurs client(e)s. Or, le dialogue direct entre les participant(e)s à un processus de règlement de leur différend favorise fortement la réconciliation entre eux(elles). Lorsque les échanges sont inhibés, le potentiel qu'il(elle)s s'entendent de nouveau est moindre. À cet effet, il peut être stratégique pour les médiateur(trice)s de discuter avec les avocats des fonctions qui pourraient être les leurs durant les pourparlers. 

Règle générale, les rôles suivants sont compatibles avec le processus de médiation: 
  • Expert légal. Plusieurs conflits comportent des aspects juridiques complexes. Les ramifications peuvent dépasser les connaissances d'un(e) participant(e). La présence d’un expert peut non seulement rassurer cette personne, mais parfois débloquer la recherche d’un compromis. En effet, quand les gens comprennent les impacts d’une entente, ils sont souvent moins hésitants à s’engager. 
  • Chien de garde. Minimiser les risques juridiques est l’une des tâches clés des avocat(e)s. Leur indiquer qu’on s’attend à ce qu’il(elle)s interviennent s’il(elle)s ont l’impression que les discussions ne vont pas dans la direction des intérêts de leur client(e) est tout naturel. Ainsi, en les assurant qu’il(elle)s auront l’espace nécessaire pour exercer cette fonction, par exemple en leur donnant maintes occasions de faire des mises au point avec leurs client(e)s en caucus, on la canalise positivement . 
Par contre, le rôle suivant rend le processus plus difficile et surtout moins riche: 
  • Porte-parole. Lorsque les juristes refusent de laisser parler les personnes elles-mêmes, cela ajoute un degré de difficulté à la médiation. En effet, beaucoup de stratégies d'intervention reposent sur une communication directe entre les vis-à-vis. Le médiateur se trouve alors à essayer de les réconcilier avec des moyens réduits. 

On peut donc conclure que dans le cadre d’une médiation, la présence d’avocat(e)s ne nuit pas nécessairement aux chances de régler un conflit. Toutefois, cela dépend du rôle qu'il(elle)s adopteront. La démarche devient particulièrement difficile s'il(elle)s se dressent en porte-parole de leur client(e) et refusent toute communication directe entre les personnes impliquées dans le conflit. Néanmoins, cette embûche peut être contournée en amont si on prend le temps de discuter et de s’entendre avec les juristes sur le rôle qu’ils joueront durant le processus. L’idée est qu’une négociation sur ce qui est attendu à cet égard, avant de débuter la médiation, peut éviter bien des frustrations de parts et d’autre. 

Références
  • DOUGLAS, Kathy et BATAGOL, Becky. The role of lawyers in mediation: Insights from mediators at Victoria's civil and administrative tribunal. Monash UL Rev., 2014, vol. 40, p. 758. 
  • POITRAS, Jean et RAINES, Susan. Expert mediators: Overcoming mediation challenges in workplace, family, and community conflicts. Jason Aronson, Incorporated, 2012. 
  • POITRAS, Jean, STIMEC, Arnaud, et ROBERGE, Jean‐François. The Negative Impact of Attorneys on Mediation Outcomes: A Myth or a Reality?. Negotiation Journal, 2010, vol. 26, no 1, p. 9-24.

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