lundi 6 mai 2019

Un médiateur peut-il utiliser l’effet Hawthorne?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Quand nous intervenons comme médiateur, il est fréquent qu'une personne nous dise que son vis-à-vis se comporte bien dans le cadre des discussions, mais qu'il n'en n'est pas ainsi dans la vie de tous les jours. Et bien évidemment, celle-ci ne réalise pas qu’elle aussi a modifié son comportement. En fait, il est coutume que les participant(e)s à une médiation se comportent de façon beaucoup moins déplorable qu’on nous l'avait prédit. Est-ce une question de chance? Ou ne serait-ce pas plutôt l’effet Hawthorne qui serait à l’œuvre? Et si c’est le cas, comment un médiateur peut-il utiliser ce phénomène comme levier pour améliorer ses interventions?

Le simple fait d'être observé
modifie les comportements.
Effet Hawthorne. Il s’agit de cette situation où les individus modifient un aspect de leur attitude en réponse au fait d’être conscients de faire partie d'une expérience. L'appellation vient de l’endroit où a été faite une recherche qui l'a mise en lumière. Cette étude s’est déroulée dans l’usine de Hawthorne Works (Illinois, États-Unis) en 1923. Le sujet traitait de l’influence des conditions de travail sur la productivité des ouvrières. 

On avait alors modifié les pauses, les durées de travail, les prix des repas, et on avait imposé l'interdiction de parler pendant l'exécution des fonctions. Dans tous les cas examinés, les chercheurs ont enregistré une hausse de productivité, même en l'absence de conditions favorables pour les ouvrières. Après avoir épuré plusieurs hypothèses, les chercheurs ont conclu que les travailleuses avaient amélioré leur rendement simplement parce qu’elles étaient conscientes de faire partie d’une étude qui mesurait cet aspect. 

Levier de gestion de conflits. En général, les psychologues industriels veulent limiter l’effet Hawthorne lorsqu’ils analysent l’efficacité d’une intervention en entreprise. En effet, ils ne veulent pas surestimer l’impact de celle-ci. Mais dans le cas d'une gestion de conflit, ne serait-il pas intéressant pour un médiateur de vouloir augmenter l'influence de son intervention en utilisant ce phénomène comme levier? Ne serait-il pas utile que les participant(e)s améliorent leur comportement parce qu’il(elle)s prennent conscience de participer à une médiation? Non seulement cela est souhaitable et fréquent, mais il est aussi possible d’en amplifier l’effet! Pour ce faire cependant, il faut d’abord bien comprendre les rouages du phénomène. 

Ingrédients clés. Les recherches ont permis de décortiquer l’effet Hawthorne. Essentiellement, celui-ci repose sur la tendance des gens à vouloir plaire/répondre aux personnes en situation d’expertise ou d’autorité. Ainsi, ils augmentent leur performance lorsqu’ils croient que c’est ce que veut le chercheur ou l’intervenant. Cet effet est modulé à la hausse ou à la baisse en fonction de deux facteurs qui se traduisent ainsi : est-ce que les individus sont conscients des objectifs de la recherche ou des intentions des personnes qui interviennent ? Et est-ce qu'ils reçoivent des signaux (parfois inconscients) qui leur indiquent que leur comportement va dans la direction espérée ? 

Conséquemment, pour maximiser l’effet Hawthorne, un médiateur devrait intégrer les deux stratégies suivantes : 
  • Énoncer des objectifs de résolution explicites. Tel que mentionné, l’effet est amplifié lorsque les personnes sont conscientes des visées de l’étude ou de l’intervention. Ainsi, un médiateur devrait communiquer les objectifs de la médiation aux personnes auprès desquelles il intervient. Ceux-ci ne devraient pas être génériques comme «régler le conflit», mais davantage spécifiques et adaptés à la situation, comme par exemple «s’assurer que les enfants ne manquent pas de ressources financières» dans le cas d’une médiation familiale, ou «faire en sorte que la répartition des tâches soit explicite, équitable et connue de chaque personne concernée» lors d'une intervention en milieu de travail. 
  • Donner de la rétroaction sur les progrès de la médiation. En effet, plus les personnes reçoivent des signaux indiquant que l’intervenant est satisfait, plus elles modifieront leur comportement. Ainsi le médiateur devrait leur communiquer qu’elles font des progrès quand il perçoit que celles-ci font des pas dans la bonne direction. 

Durée temporelle. Beaucoup de recherches ont indiqué que l’effet Hawthorne est limité dans le temps. De fait, il peut s’estomper relativement rapidement une fois l’impact de la nouveauté passé. Il est donc important que le médiateur capitalise sur cet effet en début de médiation. De plus, on peut concevoir qu’il peut aussi être stratégique d’éviter d’étirer la durée d'une médiation si on veut bénéficier de ce levier tout au long du processus. Garder l’impulsion de l’intervention serait donc un élément important de la démarche. 

En gestion, on dit souvent qu’un nouveau gestionnaire bénéficie d'une lune de miel de cent jours avec ses employé(e)s. C’est à ce moment qu’il doit être stratégique et mettre en branle ses projets. Passé ce délai, cela sera plus difficile. Avec l’effet Hawthorne, c’est un peu la même chose pour un médiateur. Le début d’une médiation constitue une phase critique où il doit capitaliser sur l’élan de bonne volonté des personnes impliquées pour recadrer les discussions et la manière d’aborder le problème. Et pour ce faire, une stratégie simple et efficace consiste à nommer les objectifs de résolution (autant sur les enjeux que sur les relations) et à renforcer les comportements positifs en leur donnant de la rétroaction en regard des progrès réalisés tout au long du processus. Évidemment, on ne peut tout régler simplement avec l’effet Hawthorne. Mais un médiateur stratégique peut utiliser ce phénomène pour amplifier l’impact positif de ses interventions. 


Références
  • ADAIR, John G. The Hawthorne effect: a reconsideration of the methodological artifact. Journal of applied psychology, 1984, vol. 69, no 2, p. 334. 
  • LEONARD, Kenneth L. Is patient satisfaction sensitive to changes in the quality of care? An exploitation of the Hawthorne effect. Journal of health economics, 2008, vol. 27, no 2, p. 444-459. 
  • PARSONS, H. Mcllvane. What Happened at Hawthorne? New evidence suggests the Hawthorne effect resulted from operant reinforcement contingencies. Science, 1974, vol. 183, no 4128, p. 922-932.

1 commentaire:

Luc Proteau a dit…

Super article!

Je ne connaissais pas le terme Effet Hawthorne, mais je le constate souvent. Merci de mettre la lumière sur ceci et de le vulgariser aussi efficacement!