jeudi 7 mars 2019

Enquête et arbitrage : donner efficacement la chance aux employé(e)s de s’exprimer

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

L’enquête et l’arbitrage sont utilisés pour régler de façon exécutive les situations conflictuelles. Généralement, on emploie ces procédures pour trancher les cas où un dialogue est impossible, un compromis difficile à atteindre, ou encore dans des circonstances graves où la négociation n’est pas une bonne option, comme par exemple lors d'un vol. Le défi est alors de trouver une solution ou une sanction juste, tout en donnant aux employé(e)s concerné(e)s le sentiment qu’il(elle)s ont été traité(e)s avec respect en dépit du fait que la décision finale ne leur soit pas favorable. Et pour créer cette impression d'équité, la littérature scientifique est unanime : il faut leur donner une voix durant le processus. Toutefois, cela ne s'avère pas aussi évident qu’il y paraît. Certaines subtilités doivent être prises en compte afin que cette prise de parole soit efficace.

Le sentiment de justice découle du
sentiment d'avoir été écouté.
En termes simples, cette opportunité réfère à la possibilité offerte aux gens d’influencer la prise de décision organisationnelle par le partage de leurs préoccupations et de leur opinion. Plusieurs études ont démontré que lorsque les employé(e)s se sentent véritablement consulté(e)s au cours de la démarche, il(elle)s en acceptent davantage l'issue, même s’ils(si elles) ne sont pas d’accord ou entièrement satisfait(e)s de celle-ci. Le sentiment d'avoir été écouté est donc une variable clé.

Au moment d'une enquête ou d'un arbitrage, la voix des salarié(e)s représente l'occasion qu'il(elle)s ont de faire valoir leur point de vue avant que les instances décisionnelles ne tranchent le différend. Dans ces cas aussi, les recherches tirent des conclusions identiques en précisant que les parties souscrivent davantage aux décisions si elles ont l’impression d’avoir pu s’exprimer. Mais attention ! le contexte dans lequel la personne fait connaître sa vision est aussi important que le fait de lui donner cette chance. À cet égard, il semble qu'il y a trois facteurs clés qui permettent d'en maximiser l’effet positif.

Impression que le gestionnaire est sincère. Selon les recherches, un(e) employé(e) modulera son appréciation d’être écouté(e) selon l’impression qu'il(elle) aura du fait que le gestionnaire porte vraiment attention à ce qu'il (elle) dit. Si le sentiment ressenti est qu’on ne l’écoute que pour la forme ou encore que son supérieur a déjà une idée toute faite, il n’y aura aucun impact positif. Prenons garde toutefois! il ne s’agit pas ici de lui donner raison ou de le (la) conforter dans son opinion, mais de faire un effort réel pour comprendre son point de vue. Et comme il s’agit de perception, il faut communiquer cet intérêt pour qu’il soit perçu. On peut favoriser le sentiment d’être sincèrement écouté en posant des sous-questions de clarification et en résumant les propos de l'individu afin qu’il valide si on a bien compris. 

Sentiment d’être apprécié. Bien sûr, l’employé(e) veut donner sa version des faits et son opinion. Mais selon les recherches, derrière le désir d'être entendu(e), se cache aussi un besoin psychologique important. C’est celui de sentir que l’on est apprécié malgré les erreurs. Sans tomber dans le paternaliste, on peut faire une analogie avec l'enfant qui a peur que son père cesse de l’aimer lorsqu’il se fait gronder. Le(la) salarié(e) aurait donc besoin de savoir que malgré un geste répréhensible, il(elle) est toujours estimé(e) par son gestionnaire. Sans l'exonérer pour ses fautes, il serait alors nécessaire pour ce dernier de rappeler et souligner au subalterne les éléments positifs de son travail. Bref, il s'agit de mettre l'accent sur le comportement et non sur la personne. Et l’employé(e) doit bien le sentir. 

«Timing» de l’opportunité de s’exprimer. Selon les recherches, le moment où l’on donne à une personne l’opportunité de s’exprimer est primordial. Règle générale, il est plus payant de lui demander de le faire avant de prendre une décision (ex.: l'inviter à faire connaître sa version ou ses préoccupations) que de lui permette de manifester sa frustration une fois celle-ci prise. En fait, il semblerait que c’est principalement dans le premier cas de figure que l’impact positif sera présent. 

Le rôle d’un arbitre ou d’un enquêteur, qu'il soit un gestionnaire ou un professionnel externe, est avant tout d’analyser objectivement une situation. Il importe cependant de rappeler qu'il est essentiel de donner une voix aux employé(e)s, non seulement par professionnalisme, mais aussi pour que la solution soit mieux acceptée. Après tout, le but n’est pas seulement de trancher le différend, mais ultimement de faire en sorte que les personnes impliquées puissent passer à autre chose. C’est donc dans cette perspective que le fait de leur donner la parole de façon adéquate permet de créer un sentiment de justice qui aura pour effet qu'elles d’accepteront la décision et qu'elles boucleront la boucle. En ce sens, l’aspect humain est aussi important que l’analyse logique de la situation conflictuelle. 


Références 
  • BIES, Robert J. Beyond "voice": The influence of decision-maker justification and sincerity on procedural fairness judgments. Representative Research in Social Psychology, 1987. 
  • LIND, E. Allan, KANFER, Ruth, et EARLEY, P. Christopher. Voice, control, and procedural justice: Instrumental and noninstrumental concerns in fairness judgments. Journal of Personality and Social Psychology, 1990, vol. 59, no 5, p. 952. 
  • PETERSON, Randall S. Can you have too much of a good thing? The limits of voice for improving satisfaction with leaders. Personality and Social Psychology Bulletin, 1999, vol. 25, no 3, p. 313-324.


Chronique complémentaire

1 commentaire:

André Ladouceur a dit…

Au Québec, la jurisprudence reconnaît une obligation qualifiée d'équité procédurale à tout employeur d'un organisme public complétant une démarche disciplinaire. Bref, de donner à l'employé concerné la chance de faire valoir son point de vue en regard de ce qui risque de lui être reproché est une obligation stricte, c'est-à-dire que la sanction éventuellement imposée peut être annulée si cette obligation n'a pas été respectée.