lundi 29 octobre 2018

Médiation : Doit-on encourager la reconnaissance des parts de responsabilité?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

L’acceptation par les personnes participantes de leur part respective de responsabilité dans leur conflit est un sujet généralement évité en médiation. Pourtant, les résultats d’une recherche démontrent l’importance de ce facteur dans le processus, notamment en ce qui concerne la coopération entre elles. En effet, celles-ci ont vingt-cinq fois plus de chance de collaborer si elles admettent avoir contribué à la situation. Pour favoriser cette reconnaissance, une stratégie d’intervention est proposée. Mais prenons d’abord le temps de comprendre le phénomène.

Justice interactionnelle. La notion de justice interactionnelle se définit comme étant la qualité des rapports interpersonnels prévalant entre deux individus. On fait référence ici à la façon dont les gens se sont mutuellement traités au cours de leurs interactions. Un des objectifs de la médiation est d'améliorer le rapport entre les gens et par extension créer un sentiment de justice interactionnelle.

Admettre à l'autre sa part de responsabilité a un impact énorme sur le fait que celui-ci ressente concrètement la justice interactionnelle. Et si l'autre accueille cette admission avec respect, et va même jusqu'à reconnaître son propre apport, le sentiment de justice sera alors réciproque. C’est ce dernier qui serait le moteur de la collaboration accrue entre les protagonistes. En fait, plusieurs chercheurs ont conclu que cette reconnaissance constituait un point tournant d’un processus de médiation. On passerait de la réticence (voire de la confrontation) à la collaboration. 

Malheureusement, provoquer de tels aveux quant à la responsabilité de chacun n’est pas tâche facile. Parfois les gens n’en sont tout simplement pas conscients. Dans d’autres cas, c’est l’embarras qu'ils éprouvent à faire ce genre d'admission qui pose problème. Il peut arriver également que ce soit la peur d’être en position de faiblesse qui bloque la discussion. Mais quelle que soit la motivation, la présence d’un médiateur peut être cruciale pour catalyser le processus et générer des excuses. Une stratégie en deux étapes est alors recommandée. 

Étape 1 : En séance privée (caucus) 
La première étape consiste à explorer en caucus avec chacun des participants, leur part de responsabilité dans le conflit. Ici, le médiateur ne cherche pas à les culpabiliser en leur tenant un procès d’intention. Il explore plutôt avec ceux-ci les erreurs qu’ils ont commises dans la gestion de la situation. Ces maladresses ont pu survenir par inadvertance. Voici une question utile à poser à ce stade-ci : « Si c’était à refaire, connaissant maintenant la façon dont le conflit s’est envenimé, procéderiez-vous différemment pour résoudre le différend? » 

Le fait de reconnaître qu’on aurait pu agir autrement pour éviter l’escalade des tensions est une forme d’acceptation minimale de sa part de responsabilité. Évidemment, dans certains cas, les protagonistes ont joué un rôle plus important dans l'imbroglio et il peut s’avérer nécessaire qu’ils l'admettent et l’acceptent. Néanmoins, l’objectif pour l'intervenant est de s’assurer que les individus concernés reconnaissent au moins qu'ils ont contribué, même d'une façon réduite, à l’escalade du conflit. 

Étape 2 : En séance plénière 
La deuxième étape s'effectue en séance conjointe. Il s'agit pour le médiateur, moyennant le consentement des personnes impliquées, de résumer leurs propos reconnaissant leur part de responsabilité, conformément aux conclusions formulées en caucus. Ainsi, il présente ces admissions l’une à la suite de l’autre. De cette façon, personne n’est mis en situation de vulnérabilité face à son vis-à-vis. Le médiateur leur demande alors de confirmer si son intervention est fidèle à la situation. C’est l’occasion pour les participants d’ajouter ou de rectifier certains aspects s'ils le désirent.

Le fait que ce soit le tiers neutre qui annonce ces éléments lui permet de s’assurer que la reconnaissance se fait conjointement. Il évite également qu'une des parties gâche l'effet de cette admission en ajoutant un blâme ou encore par des commentaires mal avisés. De plus, formuler les reconnaissances sous la forme de «comment on aurait pu faire mieux» évite de faire perdre la face aux parties tout en préservant l'impact bénéfique des admissions de parts de responsabilité.

Notre expérience clinique nous démontre que cette méthode en deux étapes n’est pas infaillible, mais qu'elle produit néanmoins des résultats intéressants. Elle permet entre autres de résoudre certains dilemmes qui importunent les participants. Qui commence? Est-ce que l’autre reconnaîtra aussi sa part de responsabilité? Ainsi, le médiateur peut jouer efficacement un rôle de pont entre eux pour favoriser une reconnaissance mutuelle des erreurs de chacun. Ce faisant, il agit comme catalyseur en suscitant l’émergence d’une coopération entre les protagonistes. 

Références
  • JAMESON, Jessica Katz, SOHAN, Donna, et HODGE, Jenette. Turning points and conflict transformation in mediation. Negotiation Journal, 2014, vol. 30, no 2, p. 209-229. 
  • NESBIT, Rebecca, NABATCHI, Tina, et BINGHAM, Lisa Blomgren. Employees, supervisors, and workplace mediation: Experiences of justice and settlement. Review of Public Personnel Administration, 2012, vol. 32, no 3, p. 260-287. 
  • POITRAS, Jean. The paradox of accepting one's share of responsibility in mediation. Negotiation Journal, 2007, vol. 23, no 3, p. 267-282.

Aucun commentaire: