lundi 22 octobre 2018

Médiation: Créer un contexte de discussion propice à l’écoute des opinions minoritaires

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Dans une situation de conflit de groupe, il y a souvent un sous-groupe majoritaire et un autre minoritaire. Pour trouver un compromis qui mettra fin au différend, il faut parfois trouver un moyen de concilier les intérêts de ces deux entités. Or, en contexte conflictuel, il est généralement difficile d'harmoniser les points de vue parce que l’opinion de la minorité est plus ou moins ignorée par la majorité. Ce phénomène a été longuement  examinéen psychologie sociale. Il soulève une question clé. Comment les opinions et intérêts d’un nombre inférieur d'individus peuvent-ils influencer ceux qui sont plus nombreux ? Les conclusions des diverses études sur ce sujet peuvent être d’une aide précieuse pour les médiateurs qui ont à faciliter les échanges dans des groupes de discussion.


Quelle est votre dynamique
de groupe? (Source: www.solille.fr)
Théorie de la conversion. Après avoir analyser les entretiens de plusieurs équipes comprenant des sous-groupes majoritaire et minoritaire, le psychologue Serge Moscovici a développé la théorie de la conversion (en référence au changement d’idée du groupe majoritaire). Selon les résultats des recherches, l’opinion de la minorité ne serait pas d’office rejetée par la majorité.

Dans leurs travaux, les chercheurs se sont plus particulièrement efforcés de comprendre dans quelles circonstances la vision du plus petit nombre pouvait être considérée par le groupe majoritaire. C’est ainsi qu’ils ont identifié certaines conditions qui favoriseraient le rejet des idées minoritaires, alors que d’autres en faciliteraient l’inclusion. Cela serait donc avant tout une question de contexte de discussion. 

Contexte d'affiliation. Lorsque la logique implicite d’une conversation en est une d’affiliation (i.e. faire partie du groupe, ne pas être mis à part), les gens se rallieront rapidement à l’opinion majoritaire. En effet, on ne veut pas être associé à la minorité, surtout pour les personnes qui se sentent déjà liées à la majorité. Ce phénomène sera accentué, notamment si la majorité a l’impression d’avoir un certain succès et qu'elle ne voit pas l’utilité de changer une formule gagnante. C'est l'argument du «Tout va bien, faites pas de trouble». Il va sans dire que cette logique accroît le clivage entre les groupes plutôt que de favoriser l'intégration des points de vues.

Logique de discussion. Lorsque la dynamique sous-jacente d'une discussion en est une d’exploration et d’ouverture, l’opinion minoritaire sera à tout le moins écoutée. Et si les plus nombreux ne sont pas en situation de réussite, il se pourrait même que l'opinion de la minorité soit intégrée dans le point de vue majoritaire. Qui plus est, l'opinion minoritaire sera davantage considérée si elle est exprimée avec conviction (bons arguments et authenticité émotive) et présentée de façon à ne pas créer de clivage avec le groupe majoritaire (i.e. si elle n’est pas avancée comme une demande unilatérale ou un changement radical qui renie l'idée de base de cette entité). De plus, si la  dissension est permise dans le groupe majoritaire (même de façon temporaire), cette logique encourage l'inclusion des points de vue.

Faciliter l’inclusion du point de vue minoritaire. Le problème en regard des situations conflictuelles, c’est que l’animosité entre les sous-groupes favorise la logique d’affiliation qui ne prédispose pas le groupe majoritaire à s’ouvrir au groupe minoritaire. Sans l’intervention d’un tiers neutre et accepté de tous, il y a fort à parier qu’on assistera à un dialogue de sourds entre les différentes factions. Personne de la majorité ne voudra donner l’impression de trahir ses collègues. Le médiateur avisé devrait donc utiliser les principes de la théorie de la conversion pour créer un climat de discussion propice à la conciliation des manières d'envisager les choses. 

Stratégies visant à préparer les discussions. L’objectif est de réduire la pression à l’affiliation pour permettre l’ouverture aux diverses opinions. À cet effet, le médiateur devrait en début de séance : 
  • Rappeler au gens l’impasse dans laquelle ils se trouvent. Souligner que s'ils ne font pas les choses différemment, ils n'obtiendront pas de résultats différents. 
  • Bien expliquer que le but de l'échange n’est pas de trouver un consensus dans l'immédiat, mais simplement de comprendre les visions de chacun, et pas nécessairement d'être d'accord avec celles-ci. 
Stratégies pour aider les participant(e)s à formuler leur opinion de façon efficace. L’objectif ici est de s’assurer que l’expression du point de vue minoritaire soit persuasif sans antagoniser le sous-groupe majoritaire. À cet effet, le médiateur devrait reformuler ce qui est dit en tenant compte des points suivants : 
  • Refléter de façon positive les besoins fondamentaux (besoin d’être accepté, besoin d’y trouver son compte pour être motivé, etc.) sous-jacents au message. Lorsque le propos est ainsi ancré dans ces éléments essentiels, il génère davantage d’impact. 
  • Reformuler de façon plus inclusive les demandes afin que celles-ci ne visent pas uniquement les besoins d’un sous-groupe. Tous doivent y voir un certain avantage. 
Les recherches sur l’influence des minorités démontrent bien l’importance du contexte de discussion et on peut aisément concevoir que celui-ci constitue un aspect capital en situation de conflit de groupe. En fait, la plupart des études ont conclu qu'il avait beaucoup plus d’influence que le type d’arguments utilisés. Au lieu de raffiner ceux-ci, vaut mieux placer ses énergies sur le contexte des entretiens. C’est ainsi que le rôle du médiateur ne se limite pas à simplement modérer les échanges, mais il vise surtout à créer un environnement favorable aux pourparlers. Et selon notre expérience, c’est parfois là la clé du succès d’une intervention réussie. 

Références 
  • DAVID, Barbara et TURNER, John C. Studies in self‐categorization and minority conversion: The in‐group minority in intragroup and intergroup contexts. British Journal of Social Psychology, 1999, vol. 38, no 2, p. 115-134. 
  • HANSEN, Thomas et LEVINE, John M. Newcomers as change agents: Effects of newcomers' behavioral style and teams' performance optimism. Social Influence, 2009, vol. 4, no 1, p. 46-61. 
  • MOSCOVICI, Serge. Toward a theory of conversion behavior. In : Advances in experimental social psychology. Academic Press, 1980. p. 209-239.

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