dimanche 29 avril 2018

Médiation : Utiliser la colère pour obtenir des concessions, est-ce payant?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

L’expression des émotions est une composante intrinsèque de la gestion des conflits. Si plusieurs modèles de médiation privilégient une approche «rationnelle» lors des négociations, une recherche a démontré clairement qu’un protagoniste qui se met en colère obtient généralement plus de concessions de la part de son interlocuteur. Toutefois, cela nécessite que les conditions propices à l’utilisation stratégique de cet emportement soient présentes. Doit-on pour autant bannir l’expression des émotions fortes? Que peuvent y faire les négociateurs et les médiateurs?

Le mythe que le fait de se choquer permet
d'obtenir des concessions est ancré dans 
la culture populaire. Mais est-il fondé? 
(Source: 12 hommes en colère - Wikipedia)
Colère et concessions. Utiliser la colère efficacement pour obtenir des concessions dépend de deux facteurs. D’abord la personne qui exprime sa fureur doit être en position de force vis-à-vis de l’autre. Ensuite, l’interlocuteur qui reçoit ces propos ne doit pas détenir des choix intéressants par rapport à une solution négociée. Lorsque ces éléments sont réunis, la colère peut s’avérer une stratégie payante. Pour le négociateur placé en situation avantageuse, il importe donc de bien évaluer les options de la personne en face de lui avant de démontrer son mécontentement pour obtenir des compromis. Si celle-ci dispose d’une bonne alternative, mieux vaut ne pas se mettre dans cet état pour éviter une impasse! 

L’effet boumerang. Que se passe-t’il lorsqu’un individu en position de faiblesse utilise la colère? Les résultats des recherches sont partagés. Ainsi, si cette personne possède de bonnes raisons de s'emporter, son comportement n’induira pas de concessions chez celle qui est en situation de force. Par contre, si elle n’a pas de justifications pertinentes, l’interlocuteur deviendra encore plus rigide. Bref, il n'y a rien à gagner et tout à perdre avec la colère. En situation d'infériorité, se mettre dans un tel état ne constitue pas une stratégie avantageuse. 

Tristesse et pitié. Est-ce dire que la personne en position de faiblesse dans une négociation est totalement dépourvue de stratégie de manipulation émotive? Pas du tout! Il semblerait que l’expression de tristesse et de désappointement de l’individu dans cette situation puisse attendrir les vis-à-vis. Selon certaines recherches, faire pitié serait efficace pour obtenir plus de concessions. Mais attention, à l'instar de la colère, il faut que le motif sous-jacent à l'émotion exprimée soit justifié; sinon, on observe une fois de plus un effet boumerang! 

Effet d’estompage. Si la colère ou la pitié utilisées stratégiquement peuvent induire des compromis de part et d’autre, il est important de ne pas perdre de vue l’effet modérateur du temps. En effet, l’impact de ces émotions sur les discussions s’estompe naturellement avec son simple passage. Conséquemment, si une personne ressent de la pression à céder sous le coup de la charge émotive qu’elle reçoit, elle devrait demander intentionnellement une pause pour laisser retomber la poussière. Ainsi, elle sera moins sujette à réagir instinctivement et à faire des concessions. 

Rôle du médiateur. Le médiateur devrait lui-même décréter une pause lorsqu’il perçoit une manipulation émotive (volontaire ou non), afin que les compromis ne se fassent pas sous le coup de l’émotion. Il n’a donc pas à freiner l’expression des émotions, et il peut avoir recours à des arrêts temporaires ou à des caucus pour réguler l’impact de ces dernières sur les discussions. La rencontre en aparté est en effet un bon moyen de limiter l’intimidation ou le chantage émotif des participants à une médiation qui ne disposent pas de quelques bons choix par rapport à une solution négociée. 

En situation de conflit, la manipulation émotive fait souvent partie des discussions. Chaque protagoniste peut être tenté de jouer l’émotion qui l’avantage. En dans cette «comédie», le médiateur est un peu le metteur en scène. À ce titre, il ne doit pas hésiter à utiliser l’effet d’estompage en modulant les périodes d’échanges et les pauses, de façon à limiter l’impact des émotions sur le processus de médiation. 

Référence
  • SINACEUR, Marwan, KOPELMAN, Shirli, VASILJEVIC, Dimitri, et al. Weep and get more: When and why sadness expression is effective in negotiations. Journal of Applied Psychology, 2015, vol. 100, no 6, p. 1847. 
  • SINACEUR, Marwan et TIEDENS, Larissa Z. Get mad and get more than even: When and why anger expression is effective in negotiations. Journal of Experimental Social Psychology, 2006, vol. 42, no 3, p. 314-322. 
  • VAN KLEEF, Gerben A. et CÔTÉ, Stéphane. Expressing anger in conflict: When it helps and when it hurts. Journal of Applied Psychology, 2007, vol. 92, no 6, p. 1557.


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