samedi 10 mars 2018

Corées du Nord et du sud : Le sport est-il une bonne stratégie de gestion de conflits?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Si on sait bien l’utiliser, le sport peut être un outil exceptionnel pour traiter de façon symbolique, les conflits et les efforts de résolution. À cet égard, l’exemple le plus récent de diplomatie réside dans la participation de la Corée du Nord et de la Corée du sud en tant qu'équipe unifiée aux Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchang. Il est à noter cependant que cette union s'est concrétisée pour le défilé des cérémonies d'ouverture et de clôture, et lors d’une seule épreuve sportive : le tournoi féminin de hockey sur glace. Dans ces trois cas, un drapeau symbolisant l'unification coréenne a été utilisé. Ce type d’initiative n’est pas unique. En fait, la diplomatie par le sport est une pratique qui remonte à bien longtemps. Mais est-ce une stratégie efficace? Quelles en sont les conditions gagnantes?

Le sport détient plusieurs caractéristiques dont la portée symbolique peut être favorable à la gestion des conflits. Ainsi, la littérature cible trois aspects particulièrement utiles lors du traitement des différends. 
  • Le sport possède un attrait universel. Tous les pays, toutes les cultures et toutes les classes sociales le valorisent. Il peut donc constituer un point commun entre des protagonistes. 
  • Il est rassembleur. Le fait de favoriser la même équipe peut solidariser des belligérants qui soudainement y trouvent un objectif commun. Par triangulation, leur affection partagée pour ces sportifs se transfert alors quelque peu dans leur relation interpersonnelle. 
  • Le sport a le potentiel d’inspirer les gens. Combien de films basés sur l’histoire d’équipes sportives ont exercé une influence chez les gens? Combien d’affiches de motivation fondées sur des citations sportives n'a-t-on pas utilisé? Par extension, le sport peut motiver les protagonistes à persévérer dans la voie de la réconciliation. 

Le premier but historique de l'équipe
féminine de hockey de la Corée unifiée 
aux Jeux de PyeongChang.
(Source : Lapresse)
Malgré le fait qu'il puisse être utilisé comme plate-forme diplomatique symbolique, pour être efficace, son utilisation doit s’inscrire dans une démarche de gestion de conflit globale. Il ne constitue donc pas un but, mais un moyen de favoriser le rapprochement entre les personnes impliquées. La littérature scientifique fait ressortir que la diplomatie par le sport peut remplir plusieurs fonctions :

  • Celui-ci permet de projeter le symbole d'une image forte d’unité, tout en n’engageant pas formellement les adversaires. Tout comme à Pyeongchang, il devient alors possible de vendre le concept de réconciliation auprès des populations de chacune des parties sans trop se commettre. On sème ainsi l’idée d’une entente plus importante qui peut suivre l’événement. 
  • Le sport est un prétexte pour amorcer un dialogue sans perdre la face, ni donner l'impression d'abandonner ses revendications. De plus, tous les événements qui gravitent autour des compétitions deviennent des opportunités de diplomatie informelle. Si tout se déroule bien, on peut entamer par la suite un échange plus formel. 
  • Il constitue également une occasion de tisser des liens de confiance à l'aide d'une expérience qui n’est pas directement rattachée à l’objet du litige opposant les parties. On apprend à se connaître et à confronter les idées préconçues. Par la suite, la relation qui se développe peut devenir un véhicule de travail utile pour négocier des enjeux plus importants. 

Malgré son attrait, l’utilisation du sport comme stratégie diplomatique n’est pas un succès automatique. Il y a quand même des risques associés à une telle démarche. En effet, celui-ci peut soulever les passions, et parfois, de façon très négative. On n'a qu’à penser au phénomène des hooligans (partisans extrêmes et quelquefois violents) au soccer. Il est donc recommandé de satisfaire certaines conditions afin d'éviter les impairs diplomatiques. C’est ainsi que l’on propose de prendre les précautions suivantes pour contourner les dérapages : 
  • La confrontation directe entre les protagonistes doit être écartée. Organiser un match entre eux fera un gagnant et un perdant. Cela ne contribuerait pas à l’objectif diplomatique. 
  • Les enjeux doivent être minimes. Si l’équipe conjointe perd, cela ne doit pas être grave. En effet, la situation ne doit pas faire en sorte que chaque partie puisse en arriver à blâmer l’autre pour cette défaite. Une variante est de choisir une circonstance où aucun groupe n’aurait gagné de toute façon. Non seulement il y a peu à perdre, mais tout gain aura un impact motivationnel majeur. 
  • L’arbitrage doit être impeccable. L’injustice dans le sport, réelle ou perçue, peut facilement enflammer les passions. Un transfert de l’émotion négative pourrait alors saborder les efforts diplomatiques. 

Si l’utilisation d’événements sportifs comme plate-forme diplomatique semble logique, s’assurer que cette stratégie porte fruit n’est pas aussi facile qu’il n’y parait. Il faut choisir les situations avec discernement et mettre en place les conditions gagnantes. Toutefois, lorsque cela est fait brillamment, les résultats peuvent être spectaculaires. Nelson Mandela a utilisé avec brio le Mondial de Soccer d’Afrique du sud pour tisser des ponts entre les communautés noire et blanche et ainsi contribuer à panser les plaies de l’apartheid. À cette occasion, non seulement le pays a présenté une équipe multiethnique, mais contre toute attente, celle-ci a gagné le championnat (elle était classée bonne dernière dans les chances de remporter la victoire). Mais revenons à notre exemple de départ: à votre avis, pourquoi les deux Corées ont-elles choisi le hockey féminin pour constituer une équipe conjointe? 


Réferences
  • CÁRDENAS, Alexander. Peace building through sport? An introduction to sport for development and peace. Journal of Conflictology, 2013, vol. 4, no 1, p. 4. 
  • CARUSO, Raul, DI DOMIZIO, Marco, et SAVAGE, David A. Differences in National Identity, Violence and Conflict in International Sport Tournaments: Hic Sunt Leones!. Kyklos, 2017, vol. 70, no 4, p. 511-545. 
  • NYGÅRD, Håvard Mokleiv et GATES, Scott. Soft power at home and abroad: Sport diplomacy, politics and peace-building. International Area Studies Review, 2013, vol. 16, no 3, p. 235-243.


Chronique complémentaire

1 commentaire:

André Ladouceur a dit…

Pour la dernière question, il était plus facile de rassembler des femmes qui sont, généralement, de nature plus pacifique que les hommes, surtout en regard d'un contexte politique où la confrontation anticipée ou appréhendée est de nature violente.