Nous explorerons dans cette chronique la façon d'utiliser l’intelligence collective d’un groupe en situation de conflit. On peut définir sommairement cette faculté comme étant la capacité des membres de celui-ci, d’effectuer un choix pour le bien commun. La notion d’intelligence collective est particulièrement intéressante dans un contexte où chaque option se vaut et en conséquence, une personne seule ne peut détenir de manière absolue la réponse juste. L’idée est qu’en combinant l’ensemble des opinions par un vote, on peut choisir celle qui est la bonne. Il serait donc possible de faire appel à cette aptitude d'une équipe pour choisir entre trois options de partage des tâches dans le but de créer un sentiment de justice. Toutefois, en situation de conflit, l’intelligence collective est-elle encore une source de sagesse ?
Théorème de Condorcet. Le problème des choix collectifs a été étudié par plusieurs mathématiciens. L’un des plus célèbre est Nicholas de Condorcet. Son théorème édicte que même si les membres d’un groupe n’ont que 50 % de chances de prendre une bonne décision sur une base individuelle, un vote à la majorité de ceux-ci les amène à choisir la meilleure option dans une proportion de tout près de 100% ! Qui plus est, son énoncé a été validé à l'aide de plusieurs expériences scientifiques.
Mais attention ! La mise en commun des opinions ne peut se faire de n’importe quelle façon; certaines conditions nécessitent d'être respectées :
- Tous les membres du groupe doivent participer au vote. L’intelligence collective exige que tous les individus affectés par la décision s'expriment sur celle-ci.
- Chaque membre doit avoir la possibilité de connaître les avantages et les inconvénients de chacune des options faisant l’objet du vote. Bien entendu, il est possible que dans certains cas, toute l’information ne soit pas disponible. Il faut néanmoins avoir pris le temps de faire le tour de la question et le choix doit être fait lorsque que tous les faits connus ont été exposés.
- Les membres doivent voter sans avoir la possibilité de discuter entre eux de leur intention de vote. En effet, lorsqu'ils ont l'opportunité d'échanger sur le sujet, un effet de groupe prend place et vient perturber le processus d’intelligence collective.
L’intelligence collective d’un groupe dépend
de la diversité des points de vue. On peut être perplexe quant à la composition homogène de l’équipe du Président Trump. (Source : CNN) |
- Les groupes minoritaires sont souvent exclus de la prise de décision. De fait, il n’est pas rare que le clivage et les bris de communication entre les factions rendent impossible une rencontre commune. Or, il s’agit de la première condition à respecter.
- Les situations conflictuelles se complexifient rapidement en accumulant de nouveaux enjeux et griefs. Tout devient litigieux; ce qui rend parfois difficile la capacité de bien cerner le problème central. Ce faisant, lorsque l’information devient plus compliquée, il est alors plus ardu de satisfaire la deuxième exigence du théorème.
- Les discussions sont fréquemment monopolisées par certains individus. Dans une situation problématique, il est assez habituel que les individus plus extravertis et mobilisés prennent davantage de place et s'expriment ouvertement. Ainsi, la troisième condition ne peut être observée.
Utiliser l’intelligence d’un groupe en situation de conflit. Pour employer cette faculté collective, il faut d'abord réunir les conditions gagnantes avant de procéder de façon commune au choix d’une solution ou d’un compromis. De plus, le théorème doit être judicieusement intégré au processus de résolution de conflit. En effet, il serait utopiste d’espérer évacuer toute délibération de la démarche. Après tout, le dialogue est nécessaire pour régler un conflit. C’est ainsi que dans le cadre de la gestion d’un différend dans un groupe, il peut donc s’avérer utile de suivre le protocole de discussion suivante :
- Briser les clivages et s’assurer que tous les points de vue soient présents aux discussions (ou du moins un maximum de points de vue)
- Simplifier le problème en identifiant les intérêts prioritaires
- Identifier les options possibles de compromis ou de règles de partage
- Exposer les avantages et les inconvénients de chaque option sans argumenter (on doit prendre une approche de bilan)
- Tenir ensuite un vote secret non contraignant pour capitaliser sur l’intelligence collective
- Discuter du choix du groupe et négocier des ajustements (parce qu'en définitive, on est en processus de négociation)
- Tenir un vote final pour adopter une solution
En théorie, il est donc possible de capitaliser sur l’intelligence collective d’un groupe pour résoudre une situation conflictuelle. En respectant les étapes proposées, les membres auront une idée du choix collectif « intuitif » qui pourra être fait avant de débattre des options. Ainsi, cette sélection basée sur l’intelligence collective, deviendra le point d’ancrage des discussions; ce qui augmentera les chances d’adopter la meilleure solution. Mais en pratique, briser les clivages et limiter l’argumentation des individus mobilisés ne s'avère pas une tâche facile. Et pour cela, le théorème de Condorcet ne propose aucune solution. Malgré l’apport des théories mathématiques, la gestion des conflits de groupe demeure un art quand vient le temps de gérer la dynamique de celui-ci. Toutefois, la bonne nouvelle est qu'à la suite de l'assainissement de ce climat conflictuel, on peut espérer tabler sur l’intelligence collective du groupe !
Référence
- BOTTOM, William P., LADHA, Krishna, et MILLER, Gary J. Propagation of individual bias through group judgment: Error in the treatment of asymmetrically informative signals. Journal of Risk and Uncertainty, 2002, vol. 25, no 2, p. 147-163.
- CONRADT, Larissa, LIST, Christian, et ROPER, Timothy J. Swarm intelligence: When uncertainty meets conflict. The American Naturalist, 2013, vol. 182, no 5, p. 592-610.
- FISHER, Len. The perfect swarm: The science of complexity in everyday life. Basic Books, 2009.
- HASTIE, Reid et KAMEDA, Tatsuya. The robust beauty of majority rules in group decisions. Psychological review, 2005, vol. 112, no 2, p. 494.
Chronique complémentaire
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