lundi 12 octobre 2015

Trois pièges psychologiques à éviter en négociation

Par Frédéric Moisan, Ph.D., CRHA

Les membres d’un syndicat décident de rejeter la dernière offre patronale, qu’ils jugent comme n'étant pas assez généreuse, et de débrayer, malgré que le fond de grève est quasiment épuisé. Un couple engagé depuis longtemps dans une procédure de divorce préfère se battre devant le juge plutôt que de s’entendre à l’amiable, alors que les frais d’honoraires des avocats dilapident complètement leur patrimoine. Un employé refuse de s’excuser auprès de son collègue pour ses comportements d’incivilité par crainte de perdre la face, même si son attitude risque de lui coûter une plainte pour harcèlement psychologique. Quel est le point commun entre ces trois situations? Les protagonistes sont victimes d’un phénomène courant en négociation : l’escalade irrationnelle. Mais qu’est-ce que ce piège au juste et surtout, que peut-on faire pour l'éviter?

On peut définir l'escalade irrationnelle comme la tendance naturelle des personnes à maintenir fermement leur position et à continuer d'investir dans un conflit malgré une faible probabilité de réussite et ce, même si une analyse objective de la situation démontre le cul de sac à venir. Selon la littérature, trois pièges psychologique permettent d’expliquer ce phénomène :
  • Le désir de remporter la mise à tout prix
  • Le désir de récupérer les ressources investies
  • Le désir de préserver et de défendre son image

Premièrement, les parties prises dans une dynamique d’escalade irrationnelle surestiment généralement leurs chances de gagner et oublient de tenir compte des ressources qu’elles doivent engager pour y parvenir. Elles sont, pour ainsi dire, aveuglées par l’appât du gain et ne voient pas les coûts associés à la victoire, même si ceux-ci sont plus grand que les bénéfices possibles.

Ensuite, plus une personne investit du temps, de l’argent ou des efforts dans un conflit, plus elle veut récupérer son investissement. Ce désir peut être est fort au point que la personne n’hésite pas à engager d’importantes ressources supplémentaires, même si les chances de gagner son quasiment nulles. Elle ne peut se résigner à accepter de perdre sa mise de fond.

Enfin, certaines personnes impliquées dans un conflit maintiennent fermement leur position afin de préserver et de défendre leur image auprès des autres. Elles ne veulent tout simplement pas avouer qu’elles ont pris une mauvaise décision et espèrent pouvoir convaincre les autres de la justesse de leur position par leur entêtement.

Si le piège de l’escalade irrationnelle est plutôt commun, il n’est toutefois pas inévitable. À cet égard, la littérature suggère trois stratégies.

Une première stratégie consiste à évaluer le rapport de force. Le fait d’analyser objectivement les ressources disponibles de part et d’autre, qu’elles soient monétaires ou non monétaires (p.ex. : inventaires, lois, niveau hiérarchique, etc.), permet d’éviter de surestimer ses chances de succès. Malgré son importance, cette évaluation est souvent négligée par des personnes qui entretiennent inutilement la croyance qu’elles peuvent sortir rapidement victorieuses du conflit.

La littérature recommande également d’établir des paramètres de négociation. Il s’agit essentiellement de se donner des objectifs, déterminés en fonction de l’évaluation de la situation, et de les respecter afin de ne pas tomber dans le piège de l’appât du gain, quitte à perdre sa mise de fond initiale plutôt que de gaspiller inutilement des ressources supplémentaires. Rien n’empêche toutefois de réévaluer la situation en cours de négociation si celle-ci évolue.

Selon la dernière stratégie, il convient d’écarter l’image sociale de la négociation, c’est-à-dire de rester centré sur l’atteinte de ses objectifs plutôt que de vouloir paraître victorieux à tout prix. Une tactique simple permettant de minimiser les possibilités que l’orgueil prenne le dessus consiste à mener les discussions à huis clos. Les parties sont ainsi en mesure de changer leur position sans devoir justifier leur décision en public.

Ainsi, lors de votre prochaine négociation, même si vous considérez votre position plutôt bonne, rappelez-vous ce que Winston Churchill disait : « il n’y aurait pas de guerre si l’autre personne ne pensait pas elle aussi avoir une chance de gagner ».

Références
  • BAZERMAN, Max H. et NEALE, Margaret Ann. Negotiating rationally. Simon and Schuster, 1994.
  • FISHER, Roger, BORGWARDT, Elizabeth, et SCHNEIDER, Andrea Kupfer. Beyond Machiavelli: Tools for coping with conflict. Harvard University Press, 1996.
  • POITRAS, Jean et BÉLAIR, Fernand. Psychologie de la négociation. Éditions Quebecor, 2007.
  • RUBIN, Jeffrey Z. Psychological traps. Psychology Today, 1981, vol. 15, no 3, p. 52-63.

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