lundi 1 avril 2013

Conflits: Facteurs de chronicité

S'il est important de reconnaître les pathologies du processus de résolution de conflits, il est également important d'analyser ceux-ci dans une perspective temporelle. Un critère de distinction important est le caractère plus ou moins durable de la pathologie. Dans certains cas, l'évitement ou encore l'escalade constituera une phase temporaire du processus de résolution. Par contre, dans certains cas, l'évitement ou encore l'escalade se prolongera dans le temps. Ainsi, on peut distinguer deux types de pathologie: temporaire et chronique. Cette distinction est importante lorsque vient le temps de planifier une intervention.


Dans le cas d'une pathologie temporaire, le conflit entre brièvement dans une phase d'évitement ou d'escalade puis revient à un processus normal de résolution de conflit. Ce décrochage du mode pathologique peut survenir suite à une prise de conscience des protagonistes ou encore suite à une intervention externe. Par exemple, un couple se dispute âprement les conditions d'un divorce jusqu'au moment où les ex-conjoints réalisent que la situation nuit au bien-être des enfants. Ils cessent alors les hostilités et négocient une solution. Dans un autre cas, un gestionnaire qui évite soigneusement d'aborder une situation conflictuelle se trouve dans l'obligation d'intervenir suite au dépôt d'une plainte pour harcèlement psychologique.

Parfois, un conflit demeure en mode d'évitement ou encore d'escalade pour une période qui semble injustifiée par rapport aux enjeux ou encore aux dommages encourus par les protagonistes et l'entourage de ceux-ci. Pour expliquer ces situations, il faut dépasser le cadre initial de la situation conflictuelle. En effet, dans plusieurs cas, des facteurs de chronicité modifient le contexte et la structure d'un conflit et maintiennent l'évitement ou l'escalade. Pour mieux désamorcer l'évitement ou encore l'escalade durable, la connaissance des facteurs de chronicité d'un conflit est essentielle. 

Facteurs de chronicité des conflits

Dans le cas d'une pathologie chronique, l'apparition de facteurs structurants favorisent le maintien de l'évitement ou encore de l'escalade. Par exemple, deux groupes se choisissent des représentants compétitifs pour les représenter. Loin de favoriser la recherche d'une solution, ces leaders enveniment les relations par leur rhétorique compétitive. Dans un autre cas, un gestionnaire décide de ne plus tenir de réunion d'équipe afin d'éviter les débordements. Bien que la décision permette d'éviter le conflit à court terme, elle limite également les occasions de résoudre le problème de fond. La littérature en gestion de conflits identifie trois facteurs principaux.

Niveau de mobilisation du groupe

Un des premiers impacts d'un conflit est de rassembler et dynamiser toutes les énergies autour du conflit. Cela se traduira par un militantisme accru des membres d'un groupe ainsi que le choix de représentants de plus en plus compétitifs et radicaux. On notera également l'apparition d'une pensée de groupe par rapport au conflit. Ainsi, les opinions plus nuancées vis-à-vis des opposants seront de moins en moins tolérées, et les individus qui démontreront une trop grande ouverture risqueront d'être considérés comme de potentiels traîtres. Le résultat est que les voix modérées sont étouffées et qu'il devient de plus en plus difficile de négocier un compromis.

Le phénomène de surenchère des engagements complique également la donne. Puisque les parties mettront beaucoup d'énergie et de ressources dans le conflit, elles voudront récupérer leurs investissements lors de la résolution du conflit. Conséquemment, les parties deviendront de plus en plus intransigeantes, contribuant ainsi à la chronicité du conflit. Par exemple, plus une grève dure dans le temps, plus il est difficile de trouver un terrain d'entente. En effet, les employés sont moins ouverts au compromis car ils entendent justifier l'énergie investie dans la grève. L'employeur veut quant à lui amortir ses pertes à même le compromis.

Dans le cadre de l'évitement, le niveau de mobilisation sera négatif et on parlera plutôt d'un désengagement des parties envers le groupe ou encore l'organisation. Ainsi, les membres d'un groupe s'isoleront de plus en plus afin de se protéger du conflit. Le désengagement favorisera également l'émergence de leaders passifs ou accommodants. Ces changements structurels auront pour but de maintenir les parties dans une certaine «zone de confort» par rapport au conflit. Par contre, on minimisera ainsi les occasions de régler la situation conflictuelle.

Niveau de polarisation du groupe

Un deuxième impact structurant des conflits est la destruction des canaux de communication et l'accentuation des stéréotypes négatifs. Ainsi, les parties auront tendance à former des sous groupes et à rompre les communications. En général, les clans se constitueront selon les points de fracture entre les groupes. Par exemple, les employés d'un département ne parleront plus aux employés d'un autre département. Une catégorie de professionnels se tiendra ensemble et ignorera une autre catégorie, même si en théorie ceux-ci devraient collaborer. 

Ensuite les parties porteront une attention sélective aux faits et gestes qui confirment la responsabilité et les intentions hostiles de l'autre groupe. De plus, les membres rapporteront les épisodes conflictuels en mettant l'accent sur les impacts négatifs, augmentant le ressentiment collectif envers les membres de l'autre équipe. Il sera en conséquence de plus en plus difficile pour les parties de concevoir qu'un dialogue avec l'autre est possible, diminuant ainsi les chances d'amorcer un processus de résolution du conflit. 

Dans le cadre de l'évitement, les canaux de communication ne seront pas détruits, mais plutôt atrophiés. Toutes les communications seront structurées de manière à isoler les parties du conflit. Ainsi les parties adopteront un niveau de communication minimal entre elles et les communications indirectes, comme les courriels, seront privilégiées. Tout comme avec l'escalade, les parties adopteront une image négative de l'autre et l'idée qu'un dialogue constructif est impossible fera son chemin. Néanmoins, l'évitement polarise en général moins les parties que l'escalade. 

Conditionnement de l'hostilité

Avec le temps, les conflits chroniques ont tendance à s'entremêler aux objectifs des parties. L'hostilité n'est plus une conséquence du conflit, mais devient un mode de vie. On assiste alors à la perte des objectifs communs et une négation de l'interdépendance entre les parties. Dans les cas extrêmes, l'objectif des parties devient l'anéantissement de l'autre. On a qu'à songer à l'exemple d'ex-conjoints qui sont prêts à tout pour faire payer l'autre lors d'un divorce pour illustrer le conditionnement de l'hostilité. La conséquence de ce phénomène est la projection que le conflit ne pourra se régler que par la victoire ou encore par le désistement de l'une des factions. 

Le corollaire de ce phénomène, tant pour l'évitement que l'escalade, est la sous-estimation du potentiel de résolution du conflit par la collaboration. Il n'est pas rare de constater que les parties impliquées dans un conflit chronique en viennent à croire que la recherche d'un compromis est impossible, voire dangereux. C'est d'autant plus vrai que les parties n'ont plus aucun capital de confiance entre elles. Par exemple, une partie refuse de négocier un compromis en prétextant que l'autre ne respectera pas l'entente de toute façon. 

Dans les cas où les parties sont prises dans un cycle d'évitement chronique, l'hostilité sera généralement plus passive. L'objectif ne sera pas nécessairement de vaincre l'autre, mais plutôt de lui survivre dans le temps. Par exemple, un gestionnaire attend patiemment la retraite d'un employé problématique, ce qui règlera la situation conflictuelle.

Sources
  • Folger, J.P, Poole, M.S. et R.K. Stutman. 2013. Working Through Conflict: Strategies for Relationships, Groups, and Organizations. Boston, MA: Pearson. 
  • Pruitt, D.G. 2008. «Conflict Escalation in Organizations». Dans The Psychology of Conflict and Conflict Management in Organizations, C. DeDreu et M. Gelfand (Eds.), New York: Lawrence Erlbaum Associates, chapitre 8. 
  • Pruitt, D.G. et S.H. Kim. 2004. Social Conflict: Escalation, Stalemate, and Settlement (Third edition). Boston, MA: McGraw-Hill.

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