lundi 18 mars 2013

Conflits: Les facteurs de prédisposition à l'escalade

Pour résoudre un conflit de groupe, il est souvent nécessaire de contrôler l'escalade du conflit. Pour se faire, il est important de comprendre les contextes propices à l'aggravation de celui-ci. Comme le dit l'adage populaire, les arbres ne poussent pas dans le désert. Ainsi, certaines conditions doivent être présentes pour qu'un conflit entre dans un processus d'escalade. Un facteur de prédisposition est un élément du contexte qui rend un conflit plus susceptible d'entrer en processus d'escalade. Plus il y a de facteurs qui sont présents dans une situation, plus les risques d'escalade sont élevés. À cet effet, la littérature identifie cinq facteurs.

Présence d'une personne compétitive

L'implication d'une personne particulièrement compétitive dans un conflit peut précipiter l'escalade. En effet, une telle partie aura tendance à réagir en adoptant la manière forte de façon réactive et sans discernement. En situation de conflit de groupe, cette partie cherchera à convaincre ses pairs d'adopter la ligne dure, favorisant l'escalade. Par exemple, un général prêche une attaque préventive contre l'ennemi lors d'une réunion stratégique. Les généraux moins enclins à déclarer la guerre se taisent pour ne pas paraître hésitants et l'option militaire prévaut. Si le niveau de compétitivité d'une partie peut résulter d'une disposition agressive naturelle, il peut aussi être un réflexe d'auto-défense. Par exemple, un leader ayant peur de perdre son pouvoir pourra s'opposer avec ferveur à une réforme. De plus, l'importance de l'enjeu peut aussi modérer l'impact d'une personne compétitive. Lorsque l'enjeu est important, l'attrait de la compétition sera plus fort. 

Faibles liens sociaux

Plus les liens sociaux entre les protagonistes sont faibles, plus le terrain est propice à une escalade du conflit. En effet, il est plus facile d'adopter la ligne dure avec des inconnus qu'avec des proches. Une variante de ce phénomène est le niveau de déshumanisation, soit la tendance à dépersonnaliser l'autre. Ce phénomène est nourri entre autre par l'hétérogénéité entre les parties. Par exemple, l'appartenance à différents groupes culturels, classes sociales, niveaux d'éducation, orientations sexuelles sont autant de barrières entre les individus qui peuvent nuire à l'établissement de liens sociaux. Ainsi, il est possible que des personnes physiquement proches, tel que des collègues de travail, soit traités avec peu d'empathie à cause de ce phénomène. Dans le milieu hospitalier, il n'est pas rare de voir un clivage entre les médecins spécialistes et infirmières sous prétexte que l'un des groupes est plus important que l'autre. 

En situation de conflit, les sous-groupes se forment autour de ces barrières sociales. Par exemple, lors d'un conflit opposant un cadre et un employé subalterne, il est fort probable que les autres cadres se solidariseront naturellement avec le cadre impliqué, et ce même si le conflit ne les concerne pas directement. Plus les barrières sociales seront grandes et institutionnalisées, plus le potentiel d'escalade sera grand. En poursuivant notre exemple, si le conflit se déroule en milieu syndiqué, il y a fort à parier que les employés se ligueront avec l'employé impliqué dans le conflit. La situation se cristallisera alors entre les deux clans. De plus, les liens sociaux peuvent également être diminués par un historique conflictuel. Dans le même exemple, la fracture sociale entre les cadres et les employés pourrait être amplifiée par une grève antérieure.

Faibles normes de retenues

Lorsque les individus impliqués dans un conflit ne s'imposent pas une certaine retenue, les risques d'escalade sont plus grands. Or le niveau de retenue des individus dépend en partie des normes du groupe auquel ils appartiennent. Dans certaines cultures, l'expression de désaccords se fera en douceur, limitant ainsi le potentiel d'escalade. Dans d'autres cultures, les désaccords seront mis en évidence. On peut illustrer ce point en imaginant la différence dans le style argumentaire entre deux personnes d'origine asiatique et deux autres personnes d'origine latine. Dans la même veine, les groupes et les organisations qui ont développé une culture de dialogue et de respect seront moins prédisposés à l'escalade des conflits. À l'inverse, celles qui valorisent la confrontation pourront voir les situations conflictuelles dégénérer. Par exemple, il n'est pas rare de voir des conseils d'organisations syndicales aux prises avec des conflits internes puisque l'une des qualités premières des représentants est d'être bon argumentateur et un peu contestataire.

Une variante importante des normes de retenues est également liée au style de leadership. Dans les groupes ayant un leader de type laissez-faire, il y aura moins de retenue par rapport à l'expression des désaccords. Par exemple, une partie pourra exercer du harcèlement en milieu de travail après avoir constaté que ses comportements ne sont pas dénoncés par son supérieur immédiat. Dans le même sens, l'absence physique de leader peut entraîner le relâchement des normes. L'adage populaire «Quand le chat n'est pas là, les souris dansent» illustre bien ce point. Finalement, le mode de communication peut également influencer le niveau de retenue des parties. Par exemple, les individus ont tendance à être beaucoup plus agressifs dans leurs communications électroniques par rapports aux conversations en personne. Ainsi, le courrier électronique peut être un facteur d'escalade conflictuelle.

Prépondérance du pouvoir d'une partie

Un rapport de force non équilibré entre les parties peut favoriser l'escalade d'un conflit. En effet, la partie ayant plus de pouvoir pourrait croire à tort ou à raison qu'elle prévaudra sur l'autre. Cette certitude favorisera son investissement dans une approche compétitive et par extension dans le processus d'escalade. Par exemple, beaucoup de conflits internationaux ont été amorcés par des pays qui croyaient pouvoir subjuguer rapidement l'adversaire. Lorsque l'une des parties croit qu'elle n'a rien à perdre en cas d'échec de ses manœuvres, l'escalade d'un conflit sera d'autant favorisée. Par exemple, une partie décide d'aller jusqu'au bout des procédures judiciaires puisque c'est son assureur qui assume les frais.

L'avantage stratégique d'une partie peut être du à ses atouts. Une partie peut avoir plus de ressources que l'autre, de meilleurs contacts, plus de préparation, etc. Par exemple, un employé en conflit avec un collègue peut adopter la ligne dure, confiant que le patron est son beau-père. Par ailleurs, la prépondérance d'une partie peut être également due à une désorganisation de l'autre partie. Par exemple, le regroupement d'employés en syndicat change radicalement leur rapport de force de ceux-ci avec leurs employeurs.

Attributions de responsabilité

Lorsque l'une des parties croit à tort ou à raison que l'autre est responsable de la situation conflictuelle, le potentiel d'escalade est grand. La partie adoptera alors le raisonnement suivant: «Pourquoi faire un pas vers un compromis si tout est de la faute de l'autre?» Alors, la partie attendra que l'autre démontre sa bonne foi avant d'ouvrir les discussions. Si toutes les parties croient que l'autre est responsable, la situation est propice à une escalade du conflit. Par exemple, il n'est pas rare que les parties impliquées dans un conflit s'investissent dans la détermination de qui a commencé plutôt que dans la recherche d'une solution. Le potentiel d'escalade sera d'autant plus grand qu'une partie a l'impression d'être victime d'une injustice. Pour obtenir justice, certaines parties seront prêtes à aller jusqu'au bout de leurs ressources et par extension de l'escalade du conflit. On peut illustrer ce principe avec la coutume de la vendetta et de la revanche qui peuvent se transmettre d'une génération à l'autre.

Sources
  • Folger, J.P, Poole, M.S. et R.K. Stutman. 2013. Working Through Conflict: Strategies for Relationships, Groups, and Organizations. Boston, MA: Pearson. 
  • Pruitt, D.G. 2008. «Conflict Escalation in Organizations». Dans The Psychology of Conflict and Conflict Management in Organizations, C. DeDreu et M. Gelfand (Eds.), New York: Lawrence Erlbaum Associates, chapitre 8. 
  • Pruitt, D.G. et S.H. Kim. 2004. Social Conflict: Escalation, Stalemate, and Settlement (Third edition). Boston, MA: McGraw-Hill.

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1 commentaire:

Jacqueline a dit…

Merci Jean pour cette belle synthèse d'un sujet aussi complexe.