lundi 29 décembre 2025

Éviter les conflits interpersonnels : la fausse bonne règle du management

Par Jean Poitras, Ph.D.
Illustration SNR médiationDans beaucoup d’organisations, les gestionnaires apprennent implicitement qu’un bon leader est quelqu’un qui évite les conflits. Préserver le climat, maintenir des relations cordiales, empêcher les tensions de faire des vagues devient une règle de conduite. Le conflit est perçu comme un échec relationnel, un signe de mauvaise gestion ou d’incompétence.

Cette règle est séduisante parce qu’elle produit des effets immédiats visibles. Les échanges restent polis, les réunions sont calmes, les relations semblent fonctionnelles. Pour le gestionnaire, l’absence de conflit donne l’impression que l’équipe est stable, alignée et sous contrôle. Le silence est interprété comme de la maturité relationnelle.

Avec le temps, toutefois, cette logique montre ses limites. Les conflits interpersonnels non abordés ne disparaissent pas. Ils se transforment en non-dits, en retrait relationnel, en rigidité dans les échanges. La collaboration se poursuit, mais avec moins de confiance et moins de souplesse. Les gestionnaires constatent une baisse d’engagement ou une fatigue diffuse, sans toujours comprendre d’où elle vient.

Les fonctions sociales du conflit
Le conflit remplit d’abord une fonction sociale d’apprentissage. Comme l’a montré Chris Argyris, les organisations apprennent soit en simple boucle, soit en double boucle. En simple boucle, on ajuste les comportements sans remettre en question les règles, les attentes ou les cadres relationnels. C’est exactement ce qui se produit quand un conflit est évité : chacun s’adapte pour éviter l’inconfort, mais la dynamique qui crée le malaise reste intacte.

La double boucle, elle, nécessite du feedback explicite — donc du désaccord exprimé. Le conflit permet alors de questionner les attentes implicites, les règles non dites et les façons de fonctionner ensemble. Sans conflit, cette fonction d’apprentissage collectif ne peut pas opérer.

Ce qu’on appelle conflit est souvent une rétroaction qui n’a jamais trouvé sa forme positive.

Le conflit joue aussi une fonction sociale de régulation. Dans une équipe, les tensions interpersonnelles sont des signaux qui indiquent qu’un équilibre est rompu ou qu’un ajustement est nécessaire. Le penseur de la complexité Karl Weick rappelle qu’un système humain ne se maintient pas par l’absence de tensions, mais par sa capacité à faire circuler ces signaux et à s’ajuster. Lorsque les conflits sont évités, les boucles de feedback se coupent. Le système paraît plus calme, mais il devient moins capable de se corriger.

Gérer les conflits c’est d’abord les accepter
Le renversement est alors clair : le problème n’est pas le conflit interpersonnel, mais son évitement. Le levier ne se situe pas dans la suppression des tensions, mais dans la capacité à les rendre dicibles et traitables. Tant que le conflit n’est pas exprimé, le gestionnaire croit protéger le climat, alors qu’il empêche l’apprentissage et l’ajustement.
Ce renversement est inconfortable pour les gestionnaires. Il oblige à accepter des conversations imparfaites, parfois maladroites, et à renoncer à l’illusion d’un climat constamment harmonieux. Dire les choses crée une tension immédiate ; ne rien dire crée un coût différé, plus diffus et souvent plus élevé pour l’équipe.
Conclusion

Lorsque les gestionnaires distinguent harmonie et absence de conflit, ils créent les conditions pour que les équipes restent vivantes, apprenantes et adaptables. En laissant circuler la rétroaction, ils permettent aux tensions d’être transformées en ajustements concrets, mieux alignés avec la réalité du travail et les nouvelles contraintes auxquelles l’organisation fait face. Les dynamiques relationnelles peuvent alors être corrigées plus tôt, avant de se figer ou de s’user.

Ce changement de perspective transforme profondément le rôle du gestionnaire. Il ne s’agit plus d’éliminer les conflits, ni d’attendre qu’ils éclatent pour intervenir, mais de soutenir un espace où la rétroaction peut prendre forme et guider l’apprentissage collectif. Le conflit cesse alors d’être perçu comme une menace et redevient ce qu’il est souvent au départ : une information précieuse sur ce qui doit évoluer pour mieux s’adapter à la réalité.

Références

  • ARGYRIS, Chris. Double loop learning in organizations. Harvard business review, 1977, vol. 55, no 5, p. 115-125.
  • WEICK, Karl E. Sensemaking in organizations. Thousand Oaks, CA : Sage publications, 1995.

› Ce type d’analyse constitue la base de mes conférences et publications.

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