
Depuis ses débuts publics, Donald Trump revendique une expertise hors norme en matière de négociation. Que ce soit dans ses affaires immobilières, dans son livre The Art of the Deal, ou plus tard dans ses actions politiques, Trump met constamment en avant sa capacité à "faire de meilleurs deals que tout le monde". Pourtant, l'analyse de ses pratiques révèle une autre réalité : un usage systématique du marchandage théâtral, où l'apparence de dialogue masque l'absence d'intentions réelles de compromis.
Le marchandage théâtral consiste à créer une mise en scène de négociation dynamique sans véritablement chercher un accord équilibré. Le but n'est pas de construire une solution commune, mais de préserver ses positions tout en projetant publiquement une image de succès. Trump excelle dans cet art : il théâtralise chaque phase de la négociation, donne l'impression de mouvement et d'ouverture, tout en rendant toute concession significative pratiquement impossible.
Ce style est visible dans plusieurs de ses initiatives politiques, notamment lors des négociations commerciales avec la Chine ou dans ses discussions avec le Congrès sur le financement du mur frontalier. Dans ces cas, Trump amplifiait ses demandes initiales (exigeant par exemple des tarifs massifs ou une somme exorbitante pour la construction du mur), tout en laissant volontairement floues ses attentes réelles. Il utilisait ensuite les médias pour proclamer un "succès" partiel — même en l'absence d'accord ou après avoir concédé sur plusieurs points.
Un des mécanismes clés de son marchandage théâtral est le refus de fixer des critères précis de succès dès le départ. En gardant ses objectifs vagues, Trump peut redéfinir ce qu’est une "victoire" à tout moment, transformant ainsi tout résultat en triomphe personnel. Cela rend le processus extrêmement difficile pour ses partenaires, qui négocient sans repères stables et se retrouvent piégés dans un jeu d'images plutôt que de substance.
Ce style de négociation correspond également à certains traits de personnalité. Le marchandage théâtral semble compatible avec des comportements narcissiques : besoin permanent de contrôler l'image publique, obsession du rapport de force, refus de montrer la moindre faiblesse en acceptant un compromis visible. Dans cette perspective, ce qui compte n’est pas de résoudre des problèmes ou de stabiliser des relations, mais d'afficher une domination symbolique.
À court terme, cette stratégie peut donner des résultats. Dans un contexte médiatique, où la perception immédiate prime sur les résultats concrets, le marchandage théâtral impressionne et déstabilise. Par exemple, après ses menaces tarifaires contre le Mexique, Trump a annoncé un accord alors que les mesures migratoires obtenues étaient en grande partie déjà prévues. Le gain était surtout communicationnel.
Cependant, à long terme, les limites du marchandage théâtral deviennent évidentes. Les partenaires sérieux, qu'ils soient diplomatiques, commerciaux ou institutionnels, finissent par se méfier de ce style. La confiance s'effrite, les discussions se raidissent, et les accords deviennent instables, souvent impossibles à faire respecter. Dans un monde interdépendant où les négociations doivent construire des solutions durables, la stratégie de pure mise en scène s'avère rapidement contre-productive.
C’est pourquoi, dans la majorité des écoles modernes de négociation, l'accent est mis sur la collaboration réelle : clarifier les intérêts, établir des critères partagés, et construire des accords gagnant-gagnant. Les stratégies de marchandage théâtral y sont perçues non seulement comme inefficaces à long terme, mais aussi comme dangereuses pour la réputation et la crédibilité des négociateurs.
Face à un négociateur adepte du marchandage théâtral, trois stratégies de défense s’imposent naturellement :
Faire une pause stratégique pour briser le rythme émotionnel. Quand un négociateur utilise le marchandage théâtral pour créer un faux sentiment d’urgence, la meilleure réaction est de faire une pause stratégique. Il suffit de demander un moment pour réfléchir ou consulter son équipe, ce qui brise la pression imposée. Cette pause permet de retrouver son calme, de voir plus clair dans la situation, et d’éviter de se faire entraîner dans des décisions précipitées. En ralentissant le rythme, on casse l'effet de spectacle qui donne sa force au marchandage théâtral.
Ramener la discussion sur des éléments précis et mesurables. Face à l’ambiguïté entretenue par le marchandage théâtral, il est essentiel de ramener la discussion sur des points précis et mesurables. Cela veut dire poser des questions claires, demander que les demandes soient précisées par écrit, et s'assurer que chaque proposition soit concrète. Plus la discussion devient précise, moins l’autre peut manipuler l’impression de progrès. Cela oblige à sortir du théâtre pour revenir à une négociation sérieuse.
Exiger un cadre formel de négociation. Pour empêcher le marchandage théâtral de s'installer, il est important d’exiger un cadre clair dès le début. Il faut définir ensemble les objectifs de la négociation, les critères pour mesurer l’avancement, et établir un calendrier précis. Quand les règles sont posées à l’avance, il devient beaucoup plus difficile pour l’autre de jouer sur l’ambiguïté ou de prétendre à des victoires imaginaires. Et si ce cadre est refusé, c’est souvent un signe clair qu’il n’y a pas d’intention sérieuse de conclure un accord.
Ces méthodes fonctionnent car elles privent le marchandage théâtral de ses deux principales forces : la surprise et l’ambiguïté. Dès qu’on force la formalisation du processus, la capacité de manœuvre purement théâtrale diminue, et le véritable rapport de négociation peut s'établir.
Le marchandage théâtral exploite notre désir d’avancer rapidement et notre peur de l’échec visible. Mais une fois ce besoin identifié et maîtrisé, la stratégie perd beaucoup de son efficacité. Loin de représenter un génie tactique, cette approche révèle surtout une capacité à manipuler les perceptions superficielles — un pouvoir réel à court terme, mais fragile dès qu’une négociation de fond devient nécessaire.
- MNOOKIN, Robert. Bargaining with the devil: When to negotiate, when to fight. Simon and Schuster, 2010.
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