lundi 7 mai 2018

Prévenir les comportements contre-productifs durant une médiation

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Deux types de comportements contre-productifs sont particulièrement nuisibles à la recherche d’un compromis et peuvent constituer un cauchemar lors d’une médiation: l’agression verbale et l’adoption d'une attitude qui cherche la vengeance. Les attaques de vive voix peuvent être directes, par exemple si on menace l’autre personne, ou indirectes lorsqu’on la ridiculise. Quant au désir de se venger, il apparait lorsque l’un des protagonistes essaie davantage de faire payer son vis-à-vis que de trouver une solution. Le médiateur doit mettre fin à ces comportements répréhensibles, non seulement pour assurer le bien-être des participants, mais également pour des raisons d’efficience. En effet, ces attitudes court-circuitent les communications positives et limitent grandement les chances de trouver une solution. Mais si en plus de gérer ces situations, on en prévenait l’émergence?

Évidemment, on ne peut enrayer totalement la possibilité que les gens s’agressent verbalement ou encore développent ou maintiennent une attitude de vengeance. Malgré tout, selon des recherches, certains comportements peuvent stimuler ou modérer l’apparition de ces phénomènes. Mieux gérer ces manières d’agir au début d’une médiation aurait donc un impact bénéfique sur le déroulement du processus. 

Exprimer sa frustration. Il s’agit ici d’exprimer à l’autre de façon très directe son mécontentement. Une charge émotive négative est normalement associée au message. L’objectif n’est pas de l’intimider, mais de laisser sortir le trop plein. Les études précisent que l’expression de sa frustration au début d’un dialogue n’augmente pas les risques d’agression verbale de part et d’autre. De plus, la personne qui fait connaître son insatisfaction entretient beaucoup moins l’intention de vouloir se venger par la suite. Le médiateur ne devrait donc pas avoir peur de laisser les participants se manifester, mais il devrait tout de même contrôler les discussions pour éviter les dérapages. 

Le sarcasme est une forme d'incivilité
qui se situe dans une zone grise. 
Doit-on laisser passer ou intervenir?
(Source: www.cacestdrole.com)
Dénigrer l’autre. Les commentaires désobligeants prennent plusieurs formes. D’abord, ils peuvent être extrêmement explicites comme des attaques à la crédibilité ou la bonne foi de l’autre. Parfois, ils se présentent sous une forme plus subtile par le sarcasme et des insinuations. Souvent, les remarques négatives sont à la frontière de l’incivilité et il peut être tentant pour un médiateur de les ignorer. Les recherches indiquent cependant que ces types de comportements augmentent significativement les possibilités d'agression mutuelle. Le médiateur doit donc demeurer vigilant car ils peuvent facilement dégénérer en violence verbale directe. À ce chapitre, notre expérience suggère que vis- à- vis la censure des propos négatifs, mieux vaut en faire plus que pas assez. 

Éviter les contacts directs. Les discussions visant à régler un problème peuvent parfois se dérouler de façon indirecte, c’est- à- dire sans rencontre face à face entre les personnes impliquées (on peut penser à l’exemple du caucus). Les raisons de procéder ainsi sont multiples. L'un des individus peut refuser d'être en contact avec l’autre. Quant au médiateur, il peut être mal à l’aise avec les tensions relationnelles et choisir de conduire la médiation en gardant les participants séparés, du moins au début du processus. Peu importe le motif, il semblerait que le fait d'amorcer la démarche sans contacts directs puisse être un problème. En effet, une telle situation augmente la probabilité que l’une des personnes développe ou maintienne l’attitude de chercher à se venger. Le médiateur devrait donc encourager, voire provoquer un dialogue en présence le plus tôt possible, tout en conservant la possibilité d’utiliser le caucus plus tard. Évidemment, il est important que ces premiers contacts se déroulent relativement bien; d’où l’importance qu'il tempère les discussions. 

En résumé, tout porte à croire que malgré la peur des dérapages, permettre aux protagonistes d'exprimer ouvertement leur frustration au début d’une médiation ne soit pas un problème et puisse même diminuer la propension des individus à vouloir se venger. En ce sens, laisser les gens se défouler peut être bénéfique. Mais attention! il est important de filtrer les propos désobligeants afin d’éviter que la situation ne dégénère. De plus, même si cela est inconfortable, il est également nécessaire de privilégier les contacts directs entre les participants pour diminuer le désir de vengeance. Encore une fois, rappelons que le médiateur doit bien contrôler les interactions. En procédant ainsi au début des rencontres, il minimise les risques de débordement ou de blocage plus tard dans la médiation. C’est un peu comme faire la prévention de l’escalade dans le cadre d’une démarche de résolution! 


Références
  • DAVIS, Mark H., CAPOBIANCO, Sal, et KRAUS, Linda A. Measuring conflict-related behaviors: Reliability and validity evidence regarding the conflict dynamics profile. Educational and Psychological Measurement, 2004, vol. 64, no 4, p. 707-731. 
  • DAVIS, Mark H., SCHOENFELD, Michael B., et FLORES, Elizabeth J. Predicting conflict acts using behavior and style measures. International Journal of Conflict Management, 2018, vol. 29, no 1, p. 70-90. 
  • POITRAS, Jean et RAINES, Susan. Expert mediators: Overcoming mediation challenges in workplace, family, and community conflicts. Jason Aronson, Incorporated, 2012.



Contribuez au succès du blogue en diffusant cette chronique sur vos réseaux

Aucun commentaire: