lundi 2 avril 2018

Prévenir les conflits: le cas de la mutinerie de la mission Skylab 4

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Certains contextes de travail sont propices aux développements de conflits. La proximité des gens dans un milieu clos, un horaire de travail surchargé, l’absence de leadership d’expérience, un style de supervision abusif, et l’impossibilité de décompresser constituent tous des facteurs de risques. À cet effet, les missions spatiales s’avèrent des milieux favorables à l’apparition de différends interpersonnels. En fait, malgré l’apparent calme de l’espace, les conflits font partie du quotidien des astronautes en mission prolongée. Parfois, ceux-ci peuvent devenir des crises, comme ce fût le cas de la mutinerie de la mission Skylab 4. Quelles leçons ont été tirées de cet événement? Comment cela peut-il nous éclairer pour prévenir les conflits en milieu de travail stressant?

Gerald P. Carr, Edward G. Gibson, et
William R. Pogue sont devenus le 28
décembre 1973 les premiers mutins de 
l’ère spatiale. (Source : Wikipédia)
Mutinerie du Skylab. La mission de la station spatiale Skylab 4 a duré près de quatre-vingt jours. L’horaire de travail était extrêmement chargé et des tensions sont rapidement apparues entre l’équipage et le contrôle de mission sur terre. Face à l’intransigeance de ce dernier, l’équipage a décidé d'exprimer son insatisfaction en coupant toute communication avec la terre. La NASA a essayé à plusieurs reprises de rétablir les échanges, mais il y a eu refus de répondre. Les hommes ont cessé de travailler toute une journée en guise de protestation. Pendant ce temps, le contrôle de la mission a connu un jour de panique! La NASA s'inquiétait de ce que l'équipage ait pu développer une névrose collective. La crise a cessé le lendemain, lorsque les astronautes ont rétabli le dialogue pour négocier un ajustement de l’horaire. La NASA a alors accepté de réduire la charge de travail. 

Raisons de la mutinerie. Il va sans dire qu’un tel événement a fait l’objet de plusieurs études. Il en est ressorti que le clivage entre les astronautes et le contrôle de mission sur terre a entre autres, été nourri par la fatigue chronique, une incompréhension grandissante entre les protagonistes et le manque de perspective globale de la situation. Résultat: de part et d'autre, on s'est engagé dans une logique de coercition plutôt que de recherche de solutions. C’est ainsi que certains des principaux facteurs de risques ont été identifiés. 
  • Les membres de l'équipage étaient tous des novices dans l'espace 
  • Le contrôle au sol a effectué une micro-gestion de la tâche 
  • Le rythme de travail était incessant et ne laissait pratiquement pas de temps libre 
  • Les gens au sol ont sous-estimé le temps nécessaire pour terminer le travail 
  • Les contrôleurs de mission ont accusé l'équipage d'être inefficace 

Leçons de la mutinerie. Depuis cet incident, la direction des missions spatiales a beaucoup changé. La psychologie de ces situations et la prévention des conflits en milieu clos et stressant n’est plus un mystère. L’accent est mis sur le fait d'agir à l’avance, notamment en assurant une meilleure gestion du contexte de travail afin de donner une certaine flexibilité aux astronautes et en établissant un dialogue axé sur la résolution des incidents par une approche de collaboration entre les protagonistes. Plus spécifiquement, parmi les recommandations quant à la planification des missions, nous retrouvons les règles suivantes: 
  • Prévoir qu'au moins un membre de l’équipage soit un vétéran de l'espace 
  • Planifier des temps d'arrêt pour assurer le bien-être mental des astronautes 
  • Permettre l’expression des désaccords pour contourner la tendance à cacher les problèmes qui vise à éviter les réprimandes 
  • Revoir les priorités pour délester la liste des tâches quand l'équipage prend un retard important dans l'exécution de son travail 

Implication pour la gestion de conflits. Il est possible de dégager de cette étude de cas, certains principes susceptibles de limiter l’apparition des différends et mésententes et de prévenir que ces difficultés ne se transforment en une escalade de conflits. Voici quelques recommandations pouvant s'appliquer également aux milieux de travail stressants:
  • Pour limiter les désaccords liés au stress excessif en milieu de travail, il est pertinent d’aménager des pauses stratégiques pour permettre aux gens de se ressourcer et de prévenir la fatigue chronique. 
  • Lorsque cela s'avère possible, il y a lieu d’accorder aux employés, une certaine flexibilité pour qu'ils accomplissent leur travail et ajustent les priorités afin de contrer leur sentiment d’impuissance et de leur donner un certain contrôle sur la charge de travail. 
  • Pour prévenir l’escalade conflictuelle, il appert important d’instaurer une culture de résolution de problème et de collaboration pour désamorcer les crises. 
  • Finalement, une des recommandations clés est de compter parmi la direction, un gestionnaire détenant de l’expérience pertinente au contexte de travail et possédant de solides compétences relationnelles. Celui-ci doit souvent agir comme médiateur pour dénouer les problèmes et apaiser les tensions. 

Alors que les humains envisagent de coloniser la planète Mars, les expériences de confinement en milieu clos se multiplient. Des volontaires acceptent de se « cloîtrer » pendant des mois avec des étrangers pour simuler des missions spatiales de longue durée. L'objectif vise à étudier de façon plus spécifique, les effets physiologiques et psychologiques de ces périodes prolongées d’isolement collectif. En particulier, les scientifiques analysent la prévention des conflits entre les membres de l’équipage. À la lumière de la présente chronique, ces initiatives nous apparaissent on ne peut plus sages! 


Références
  • BHATT, Mukesh Chiman. Space for Dissent: Disobedience on Artificial Habitats and Planetary Settlements. In: Dissent, Revolution and Liberty Beyond Earth. Springer, Cham, 2016. p. 71-92. 
  • CLÉMENT, Gilles. Psychological Issues of Spaceflight. In : Fundamentals of Space Medicine. Springer, New York, NY, 2011. p. 217-255. 
  • KIRMEYER, Sandra L. et DOUGHERTY, Thomas W. Work load, tension, and coping: Moderating effects of supervisor support. Personnel Psychology, 1988, vol. 41, no 1, p. 125-139.

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