lundi 20 avril 2015

La collaboration est-elle toujours appropriée durant une négociation?

Par Frédéric Moisan, Ph.D., CRHA

Mise de l’avant par Fisher et Ury grâce à leur best seller « Getting to Yes », la négociation collaborative – aussi appelée négociation raisonnée ou intégrative – jouit d’une bonne réputation depuis plusieurs années. En effet, cette forme de négociation permet de trouver une solution mutuellement satisfaisante grâce à une communication ouverte des besoins de chacun ainsi qu’à l’utilisation de diverses techniques de résolution de problèmes. Cette approche est considérée comme plus profitable que la négociation traditionnelle – aussi appelée négociation de confrontation ou distributive – qui implique diverses tactiques de contrôle de l’information et de revendication dans le but d’effectuer des gains au détriment de l’autre partie. Mais est-ce bien le cas?

 
La négociation collaborative a été interprétée comme une meilleure alternative à la négociation traditionnelle, ce qui a contribué à dévaloriser cette dernière, considérée beaucoup moins éthique par certains. Autrement dit : « mieux vaut collaborer que confronter pour parvenir à ses fins! ». Or, tout en ayant des avantages certains, la négociation collaborative n’est pas exempte de limites importantes et renferme plusieurs pièges. En voici trois :
 
Dévoiler son jeu dès le départ. Plusieurs négociateurs collaboratifs sont tentés de dévoiler la totalité de leur jeu dès le départ afin de respecter le principe à l’effet que les parties doivent exprimer ouvertement leurs intérêts. En agissant ainsi, ils sous-estiment la nécessité pour chaque partie de cacher, du moins au début, certaines informations à propos de leur propre situation, notamment le prix qu’ils sont prêts à payer pour parvenir à une entente. Le danger de s'ouvrir trop vite est que l’autre partie peut profiter de la situation pour effectuer des offres qui minimisent nos propres gains. De plus en dévoilant son jeu complètement on néglige de se garder une marge de manoeuvre pour les concessions de dernières minutes.
 
Faire preuve de trop d'ouverture. En cours de négociation, la disposition d’une personne à faire des offres rapidement peut être interprétée par l’autre comme une volonté de faire plusieurs concessions, voire même comme un signe de faiblesse. Un négociateur en meilleure position de pouvoir qui opte pour l’approche traditionnelle peut alors profiter de la situation pour imposer sa propre solution ou encore obtenir plus de concessions de l'autre. En effet, comme la plupart des gens s'attend s'attend à devoir insister pour obtenir des concessions, ceux-ci croiront que les concessions obtenues rapidement ont moins de valeur.
 
Vouloir collaborer à tout prix. Enfin, plusieurs négociateurs considèrent que l’utilisation exclusive de l’approche raisonnée est nécessaire pour préserver la relation. Or, dans plusieurs contextes de négociation, chaque partie arrive à la table avec divers objectifs destinés à la fois à créer des gains communs et à poursuivre des intérêts individuels. Ainsi, peu importe jusqu’à quel point la tarte a pu être élargie par l’entremise de la collaboration, il n’en demeure pas moins que celle-ci doit être divisée tôt ou tard.
 
Alors, quand est-il plus approprié pour un négociateur d’utiliser la confrontation pour parvenir à ses fins, même lorsqu’il désire collaborer avec l’autre partie? La littérature recommande aux négociateurs en mode collaboratif d’utiliser certaines tactiques de confrontation dans les circonstances suivantes :
 
  • Lorsqu’on aborde une partie qui décide de profiter des efforts de collaboration pour entrer en mode de compétition, la confrontation peut être utilisée momentanément afin de démontrer à l’autre qu’on n’est pas prêt à se laisser « manger la laine sur le dos ». Le fait de démontrer sa force peut inciter l’autre partie à négocier de bonne foi.
  • Lorsqu’on prévoit que l’autre partie accueillera notre proposition par une forte résistance, il est approprié d’envisager la nécessité d'une éventuelle confrontation afin d’exercer de la pression sur elle. L’idée est de démontrer à l’autre le danger de ne pas conclure une entente et ainsi l’inciter à chercher une solution par la collaboration.
  • Enfin, dans plusieurs négociations, la répartition de ressources fixes et limitées (p.ex. : budget, salaires, etc.) est inévitable. Afin de préserver la cordialité des échanges et la relation malgré ces situations, il est recommandé, soit d’utiliser les approches de collaboration et d’affrontement à différentes phases du processus de négociation, soit de répartir les rôles associés à chaque approche entre différentes personnes d’une équipe de négociation.

Ainsi, toute personne ne peut s’en remettre uniquement à l’approche collaborative et doit parfois également utiliser des tactiques de négociation traditionnelle. Il est toutefois recommandé d’employer cette approche avec précaution, car son utilisation excessive peut rapidement favoriser une escalade du conflit, mener à une impasse et ainsi miner la relation. Au fond, le talent d’un bon négociateur réside notamment dans sa capacité à choisir judicieusement entre ces deux stratégies!
 
Références  
  • FISHER, Roger et WILLIAM, L. URY. 1981. Getting to Yes : Negotiating Agreement Without Giving In. New York : PenguinGroup.
  • FRIEDMAN, Raymond A. et SHAPIRO, Debra L. 1995. Deception and mutual gains bargaining: Are they mutually exclusive? Negotiation Journal, vol. 11, no 3, p. 243-253.
  • LEWICKY, Roy. J., David Saunders, Bruce Barry et John W. Minton. 2004. Essentials of Negotiation, New York : Mc Graw Hill.
  • ROJOT, Jacques. 2006. La négociation. Paris : Vuibert.

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