lundi 29 avril 2013

Conflit latent et événements déclencheurs : comprendre pour mieux intervenir

Par Jean Poitras

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Une organisation peut vivre longtemps avec un conflit latent sans en subir de conséquences majeures. Il est même fréquent de voir des milieux fonctionner avec des tensions sous-jacentes, des flous organisationnels ou des rivalités implicites, tant que rien ne vient perturber l’équilibre fragile en place. Mais il suffit d’un seul facteur déclencheur, et pouf — le conflit éclate. On passe alors d’un climat de calme apparent à une dynamique conflictuelle ouverte. Pour mieux comprendre ce phénomène, on peut distinguer quatre grands types d’événements déclencheurs.

Le premier type est l’événement choc, un incident brutal ou symboliquement fort qui agit comme l’allumette dans une poudrière. Il peut s’agir d’un refus injustifié (comme une formation non accordée sans explication), d’une accumulation de micro-agressions qui finit par exploser (comme un gestionnaire qui s’emporte après un énième retard), ou encore d’une remarque qui blesse l’ego d’un collègue et provoque une réaction de vengeance. Ces événements ne créent pas nécessairement un conflit, mais ils déclenchent une réaction vive parce qu’ils rencontrent une matière inflammable déjà présente.

Le deuxième type de déclencheur est l’activation d’un conflit latent par un changement de contexte. Ce n’est pas l’événement lui-même qui est choquant, mais il vient transformer un déséquilibre existant en véritable problème. Par exemple, des responsabilités floues tolérées depuis longtemps deviennent un enjeu de survie lorsque des coupures de postes sont annoncées. Tout à coup, chacun cherche à se rendre indispensable, et l’ambiguïté se transforme en conflit ouvert. Le contexte modifie donc la perception et l’importance d’un irritant latent.

Le troisième type de déclencheur est le retrait d’un facteur modérateur. Certaines tensions restent dormantes uniquement parce qu’un facteur externe les contenait. Par exemple, un gestionnaire charismatique qui maintenait l’ordre est remplacé par un leader effacé : les conflits internes refont surface. De même, un employé auparavant discret devient agressif après avoir obtenu une permanence syndicale, non pas parce que son statut a changé, mais parce qu’il n’a plus peur des conséquences. Enfin, l’arrivée de nouveaux membres dans un groupe peut perturber les normes implicites qui jouaient un rôle pacificateur, et les conflits éclatent faute de balises communes.

Enfin, le quatrième type concerne le relâchement des inhibitions lié à une nouvelle dynamique de pouvoir ou à une rupture de culture. Parfois, une personne ou un groupe prend de l’assurance et commence à s’exprimer plus ouvertement, sans que cela passe par un événement marquant ou un retrait d’autorité. C’est par exemple le cas d’un nouvel employé qui refuse de se plier à l’ancienneté comme critère de régulation des conflits et revendique plutôt la performance. Ce changement de logique bouleverse l’ordre établi et fait émerger des tensions jusqu’alors contenues.

En conclusion, les événements déclencheurs sont essentiels à comprendre en gestion des conflits. Toutefois, une erreur fréquente consiste à ne vouloir que les « régler », comme s’ils étaient le vrai problème. En réalité, un déclencheur n’est qu’un révélateur d’un conflit latent. Pour une gestion durable, il ne suffit pas de contrôler ou éviter ces événements : il faut surtout remonter à la source, identifier et désamorcer le conflit latent. C’est seulement en travaillant sur la dynamique profonde que l’on peut prévenir efficacement les prochaines flambées.


Sources
  • Folger, J.P, Poole, M.S. et R.K. Stutman. 2013. Working Through Conflict: Strategies for Relationships, Groups, and Organizations. Boston, MA: Pearson.
  • Pruitt, D.G. 2008. «Conflict Escalation in Organizations». Dans The Psychology of Conflict and Conflict Management in Organizations, C. DeDreu et M. Gelfand (Eds.), New York: Lawrence Erlbaum Associates, chapitre 8.
  • Pruitt, D.G. et S.H. Kim. 2004. Social Conflict: Escalation, Stalemate, and Settlement (Third edition). Boston, MA: McGraw-Hill.

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