Dans la littérature, on distingue trois types d'évitement pathologique: de protection, de retrait et d'accommodement. De façon générale, on peut dire que l'évitement de protection est motivé par la peur que les choses vont s'aggraver si on aborde le conflit alors que les deux autres types sont plutôt entretenus par l'illusion que les choses vont s'arranger d'elles-mêmes. Chaque type d'évitement est maintenu par des facteurs différents. La compréhension de ces distinctions est essentielle à la planification d'une intervention efficace.
L'évitement de protection
L'évitement de protection correspond aux situations où une ou des parties veulent à tout prix éviter le conflit à cause de l'anxiété provoquée par la situation conflictuelle. Par exemple, une partie peut éviter de confronter une personne au comportement colérique. Elle préférera alors faire comme s'il n'y avait pas de problème et ne pas se mêler du conflit. De façon générale, trois facteurs de prédisposition peuvent être associés à l'évitement de protection.
Un premier facteur de prédisposition est un déficit de compétence ou encore de support. Ainsi, les parties peuvent douter de leur capacité à gérer un conflit et préférer ne rien faire pour ne pas aggraver la situation. Dans le même ordre d'idées, une partie peut hésiter à intervenir par crainte de perdre sa crédibilité en cas d'échec. Ce facteur peut être amplifié par la perception qu'il n'y a pas d'aide externe si l'intervention se complique. En effet, l'impression d'être seul face au conflit peut refroidir la volonté de se lancer dans un effort de résolution.
Les différentes inhibitions des parties peuvent aussi constituer un deuxième facteur de prédisposition. D'abord, il y a la dimension culturelle. En effet, certaines cultures ne valorisent pas la confrontation et privilégient l'harmonie. Par exemple, il est malvenu de confronter les gens dans certaines cultures asiatiques. Ensuite, une personne peut éviter les conflits suite à une expérience personnelle négative. Une partie pourrait avoir appris d'une relation passée que les conflits mènent aux ruptures et qu'il vaut mieux les éviter. De plus, les normes de groupe peuvent également jouer un rôle dans l'évitement. Par exemple, dans des groupes très autonomes et affichant un faible niveau de cohésion, les parties peuvent avoir appris à ne pas se mêler des affaires des autres et avoir ainsi adopté la coutume de rester en retrait vis-à-vis des conflits.
Finalement, l'anxiété relationnelle constitue un dernier facteur de prédisposition. Par exemple, les parties peuvent craindre les réactions de l'autre: colère, tristesse, etc. Dans ces cas, les parties évitent d'aborder le conflit car les risques d'aggraver la situation sont perçus comme étant supérieurs aux bénéfices potentiels d'une résolution du conflit. Une autre forme d'anxiété plus bénigne est associée à la perception que l'autre partie n'est pas disposée à régler le conflit ou encore qu'il n'y a pas de terrain d'entente possible. Dans ce dernier cas, les parties évitent de s'engager dans la résolution du conflit car elles estiment cette avenue sans issue.
L'évitement de retrait et d'accommodement
L'évitement de retrait et d'accommodement correspondent à des situations où une ou des parties veulent éluder une situation conflictuelle à partir de la prémisse que les choses vont s'arranger sans avoir besoin d'intervenir. Par exemple une personne fait la sourde oreille (retrait) aux demandes de son conjoint dans l'espoir que celui-ci abandonnera tout simplement ses revendications. Un gestionnaire accorde un privilège (accommodement) à un employé difficile dans l'espoir que celui-ci cesse d'harceler ses collègues. Bien que similaires, ces deux types d'évitement se distinguent par quelques nuances quant au moyen d'éluder le conflit.
Pour l'évitement de retrait, la croyance est que la situation va se régler d'elle-même avec le temps. On mise donc sur le passage du temps pour arranger les choses. Cette croyance est très répandue et peut s'expliquer entre autre par la différence de perspective. En effet, lorsqu'on n'est pas impliqué dans un conflit, le détachement émotif peut laisser croire que la situation n'est pas si grave et qu'une solution émergera d'elle-même. Par exemple, les gestionnaires ont souvent l'impression (à tort) que les conflits entre leurs employés se régleront d'eux-mêmes et qu'ils n'ont pas à intervenir.
Pour l'évitement d'accommodement, la croyance est qu'en accommodant un peu l'autre partie, celle-ci sera suffisamment contentée pour abandonner ses revendications ou encore cesser ces comportements compétitifs. On mise alors sur l'apaisement de l'un des protagonistes pour arranger les choses. Par exemple, un gestionnaire offre des traitements de faveur à un employé difficile afin que celui-ci ne fasse pas trop d'ennuis à ses collègues. Malheureusement, loin d'acheter la paix, cette tactique encourage l'employé à maintenir le conflit puisque celui-ci rapporte des dividendes. De plus, le sentiment d'injustice exacerbe les collègues.
Prochaine chronique: les conflits en mode d'escalade
Sources
- Folger, J.P, Poole, M.S. et R.K. Stutman. 2013. Working Through Conflict: Strategies for Relationships, Groups, and Organizations. Boston, MA: Pearson.
- Lulofs, R.S. et D.D. Cahn. 2000. Conflict: From Theory to Action. Needham Heights, MA: Allyn & Bacon.
- Pruitt, D.G. et S.H. Kim. 2004. Social Conflict: Escalation, Stalemate, and Settlement (Third edition). Boston, MA: McGraw-Hill.
3 commentaires:
Super intéressant, dans l'évitement est-ce qu'il n'y a pas aussi une question de zone de confort qu'on ne veut pas perturber?
Oui. À mon avis, la zone de confort serait associée à l'évitement de protection.
Vous n'évoquez pas l'évitement stratégique qui est un positionnement positif actif, souvent vital. Pour l'asiatique l'évitement n'est pas seulement une recherche d'harmonie mais une stratégie qui consiste à simuler une infériorité (évitement) pour provoquer l'autre à une attaque irréfléchie (Sun Tsu). 'Un soldat doit savoir courir vite mais dans les deux directions' (Musashi). Une autre justification d'évitement est de permettre une désescalade de la charge émotionnelle proche de la violence pour atteindre un niveau de négociation possible. On peut évoquer aussi simplement le principe de plaisir : l'évitement de toute frustration immédiate, sans autre récompense à la clé. Je rajoute ceci, concernant la structure de personnalité (cela nous mènerait sans doute trop loin dans la recherche des causes d'évitement) : il y a la tendance si répandue dans la population des transes dissociatives permanentes : fuite dans toute illusion par les addictions innombrables, pourvu d'avoir le moins de problèmes réels possibles. Au plaisir de vous lire.
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