lundi 28 janvier 2019

Gérer «l’effet du témoin» pour mieux combattre le harcèlement psychologique

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Lorsqu’on intervient dans une situation de harcèlement psychologique en milieu de travail, il est fréquent pour un médiateur de constater l’inertie des collègues de la victime. Tous vous diront en privé que les incidents dont ils ont été témoins n’ont pas leur place dans un environnement sain. Mais pourtant, personne ne confronte les individus qui adoptent des comportements d’incivilité. Est-ce de la mauvaise foi? Est-ce de la lâcheté? Ou serait-ce la manifestation d’un phénomène en psychologie sociale appelé «L’effet du témoin» (bystander effect). Mieux comprendre celui-ci permet de gérer plus adéquatement le harcèlement psychologique dans le domaine de l'emploi.

L’étude de l’effet du témoin origine d'un fait étonnant. Le 13 mars 1964, une jeune femme fut violée et assassinée en pleine rue à New York. Bien que ses appels à l'aide aient capté l’attention d'une demi-douzaine de voisins habitant les immeubles alentour, personne n’a tenté de lui venir en aide ni d'appeler les secours! Cet évènement a intrigué au plus haut point les psychologues John Darley et Bibb Latané qui ont alors décidé d’examiner les conditions psycho-sociales qui avaient entraîné l’apathie des témoins. C’est ainsi que l’étude de l’effet du témoin est devenu un phénomène classique en psychologie sociale. 

Effet du témoin. On peut définir cette notion comme l'inhibition des comportements d’aide des témoins d’un incident par la simple présence d'autres personnes sur les lieux. Toutefois, cet énoncé a été élargi pour y inclure toutes les causes pouvant expliquer leur apathie. Il ne se limite donc plus seulement au nombre de spectateurs présents. Les recherches scientifiques ont démontré que l’effet du témoin est une réaction psychologique robuste et présente dans beaucoup de situations. De plus, un certain nombre d'analyses récentes ont mis en évidence plusieurs facteurs permettant de la faire osciller à la hausse ou à la baisse. 

Facteurs qui amplifient l’effet du témoin (i.e. favorisent l’inaction) : 
  • Le sujet est témoin de façon indirecte de l’incident (ex. apprendre ce qui s'est produit par ouï-dire) 
  • Les faits sont à la limite entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas 
  • La victime a une personnalité antisociale (i.e. elle est peu sympathique) 
  • L'incident est survenu devant plusieurs témoins (diffusion de la responsabilité) 

Facteurs qui modèrent l’effet du témoin (i.e. incitent à l’action) :
  • Le sujet est un témoin direct de l’incident 
  • Les faits sont perçus comme graves 
  • La victime est appréciée par ses pairs 
  • Le témoin a l’impression que s'il intervient, il sera supporté par son entourage 

Gestion de l’effet du témoin. Combattre un climat de travail malsain requiert une intervention sous plusieurs angles. L’implication des collègues dans le soutien d'une culture de civilité sur les lieux de travail et la dénonciation ou la régulation des comportements inappropriés constitue un des leviers importants. Mais, pour créer une telle dynamique de groupe, il faut désamorcer le phénomène de l’effet du témoin. Les stratégies ci-dessous peuvent en diminuer l’impact : 
  • Expliquer clairement quels sont les comportements qui sont inacceptables dans le milieu de travail. Ainsi, vous mettrez en relief ceux qui sont jugés limites. Les membres du groupe pourront alors reconnaître plus facilement les gestes déplacés qui nécessitent une intervention. 
  • Humaniser les victimes en leur permettant d’exprimer leur souffrance à leurs collègues. Plus les membres du groupe pourront s’identifier à elles ou encore être interpellés par celles-ci, plus ils seront motivés à intervenir pour mettre fin aux incidents. 
  • Discuter la mise sur pied d'un pacte d’assistance mutuelle entre les membres de l’équipe. En effet, il a été démontré que les individus interviendront davantage s’ils ont la conviction qu’ils auront le support du groupe. 

La gestion du phénomène de l’effet du témoin est une pièce importante du casse-tête de la prévention du harcèlement psychologique en milieu de travail. Bien entendu, on ne peut mettre le fardeau du contrôle de l’incivilité sur les épaules des employés. Les gestionnaires doivent assumer leurs responsabilités et prendre les mesures nécessaires pour mettre fin aux comportements répréhensibles. La haute direction doit détenir une politique claire et soutenir les efforts pour redresser les situations problématiques. Néanmoins, notre expérience nous a démontré à maintes occasions que l’implication du groupe est une clé essentielle pour assurer l’éradication des manifestations de harcèlement psychologique dans le monde du travail. 


Références
  • DARLEY, John M. et LATANÉ, Bibb. Bystander intervention in emergencies: diffusion of responsibility. Journal of personality and social psychology, 1968, vol. 8, no 4p1, p. 377. 
  • DESRUMAUX, Pascale, JEOFFRION, Christine, BOUTERFAS, Naouelle, et al. Workplace bullying: How do bystanders’ emotions and the type of bullying influence their willingness to help? Nordic Psychology, 2018, p. 1-19. 
  • FISCHER, Peter, KRUEGER, Joachim I., GREITEMEYER, Tobias, et al. The bystander-effect: A meta-analytic review on bystander intervention in dangerous and non-dangerous emergencies. Psychological bulletin, 2011, vol. 137, no 4, p. 517. 




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