vendredi 14 septembre 2018

Médiation: Devriez-vous vous soucier de l'attitude intransigeante des participants

Par Jean Poitras et Solange Pronovost 

Une personne vous affirme en privée qu’elle n’a pas l’intention de faire de compromis. Est-ce que cette attitude catégorique est un signe que les discussions lors d’une médiation ne pourront déboucher sur une solution à l’amiable? Ou encore, cette position extrême est-elle à prendre avec un grain de sel? Quelle est la meilleure stratégie? Pour répondre à ces questions, un vieux débat en psychologie sociale s’avère extrêmement utile, soit celui de la relation entre les attitudes et les comportements. Pour mieux comprendre l’impact de ce phénomène sur la médiation, revenons à l’origine de l’étude de ce lien.

Ce proverbe illustre bien la dichotomie entre
l’attitude et le comportement réel.
Lors d’un voyage d’agrément avec des gens issus d’une minorité visible durant les années '30 aux États-Unis, le professeur Richard LaPierre a été surpris de constater que lorsqu'il effectuait des réservations dans les hôtels, les gens affichaient une attitude raciste au téléphone, mais se comportaient de façon aimable lorsqu’il les rencontrait en personne. C’est de cette expérience qu’est né tout ce courant de recherche en psychologie sociale portant sur le rapport entre les attitudes et les comportements sociaux. 

Attitude et comportement réel. Après des décennies de travaux scientifiques, le constat est le suivant: les attitudes manifestées en privée constituent un bien mauvais prédicteur des comportements qui seront adoptés en situation d’interaction sociale; les premières étant généralement plus extrêmes que les seconds . Nous pouvons donc résumer comme suit les conclusions des études quant à la relation entre les deux façons d'agir : 
  • Les gens présenteront une attitude plus intransigeante en privée que les comportements qu’ils auront en contexte d’interaction avec d’autres personnes 
  • De même, ils seront moins ouverts à changer d’opinion ou d’attitude lorsqu'ils seront seuls contrairement au moment où leur vis-à-vis sera présent 
Signification pour la médiation. Ces résultats suggèrent que l’on doive prendre avec un grain de sel les affirmations d’intransigeance des participant(e)s lors de rencontre individuelle. En effet, ceux-ci seront plus radicaux en privée qu’ils ne le seront face à leur vis-à-vis. On ne devrait donc pas éviter de tenir une rencontre conjointe simplement parce qu’une personne affirme qu’elle ne fera pas de compromis. Au contraire, dans de telles circonstances, ce type d'entretien devrait être encouragé. En effet, tout indique qu’en présence de l’autre, il y aura plus d’ouverture. Notre expérience professionnelle nous a d’ailleurs permis à maintes reprises de confirmer ce phénomène.

De plus, il semble que les rencontres conjointes soient un outil très utile pour faire évoluer les positions des gens vers un compromis mutuel. Ainsi, les participant(e)s seraient plus à même de changer d’attitude que lors d'une séance privée. Cela peut s’expliquer entre autres par le fait qu’en situation individuelle, ils mettent un accent beaucoup plus grand sur leur point de vue que lorsqu'ils sont en interaction. L’ouverture est donc plus importante dans ce dernier cas. 

Est-ce dire que l’on doive toujours être en rencontre conjointe en médiation? Pas nécessairement. Il est opportun d’alterner les entretiens en aparté (i.e. caucus) et les échanges en commun en fonction des besoins de la situation. Ce que suggère les recherches portant sur la relation entre les attitudes et les comportements est qu’un médiateur ne devrait pas craindre les rencontres conjointes parce qu’un(e) participant(e) fait preuve d’intransigeance. Au contraire, celles-ci aideront à dénouer l’impasse. Mais encore faut-il au préalable convaincre les gens d’accepter de se parler!

Pour des conseils tactiques, voir capsule vidéo ci-dessous. 

Références
  • LIPINSKI-HARTEN, Maciek et TAFARODI, Romin W. Attitude moderation: A comparison of online chat and face-to-face conversation. Computers in Human Behavior, 2013, vol. 29, no 6, p. 2490-2493. 
  • SUTTON, Stephen. Predicting and explaining intentions and behavior: How well are we doing? Journal of applied social psychology, 1998, vol. 28, no 15, p. 1317-1338. 
  • LAPIERE, Richard T. Attitudes vs. actions. Social forces, 1934, vol. 13, no 2, p. 230-237.



Chronique complémentaire

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