lundi 21 mai 2018

Pourquoi les gestionnaires sont-ils plus satisfaits du processus de médiation que les employés?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost 

Dans plusieurs contextes de médiation, les personnes impliquées n’ont pas le même niveau de pouvoir. Souvent, l’une d’elles détient le gros bout du bâton. Même si l’entente se fait sur une base volontaire, il arrive parfois que celle-ci soit en position de donner ou non, alors que l’autre est plutôt un demandeur. En milieu de travail, l’individu qui occupe un poste de supérieur hiérarchique peut se trouver dans une situation avantageuse par rapport au subordonné. Est-ce que cette différence de pouvoir relatif peut avoir un impact sur la médiation, même si en théorie, il s’agit d’un processus où les gens discutent d’égal à égal? Non seulement semblerait-il que oui, mais le médiateur avisé devrait tenir compte de ce phénomène.


Dans plusieurs études portant sur l’utilisation de la médiation dans le domaine du travail, on constate que les gestionnaires apprécient davantage le processus que les employés. Et cette distinction est valable à la fois pour la satisfaction quant à la démarche, qu’en ce qui a trait au résultat. Est-ce dire que la médiation avantage les dirigeants? pas forcément. Selon ces mêmes recherches, il appert que les ententes ne leur sont pas nécessairement plus favorables. Alors qu’est-ce qui explique ce résultat? Que peux y faire un médiateur? 

Impact de l’incertitude. Tout porte à croire que ce n’est pas la relation de pouvoir qui expliquerait ce phénomène, mais plutôt le sentiment d’incertitude des participants par rapport au résultat des discussions. Moins ceux-ci se sentent dans le doute quant à l’issue d’une médiation, plus ils apprécient le processus. Et l’inverse est tout aussi vrai. Plus ils sont incertains, moins grande est leur satisfaction. Le stress de ne pas savoir comment les échanges se termineront serait donc néfaste à l’appréciation du processus. Conséquemment, la gestion de cet aspect chez les participants constitue une dimension importante du rôle du médiateur. 

Pour les gestionnaires. En raison de leur position hiérarchique, les gestionnaires possèdent plus d’atout que les employés pour contrôler l’incertitude entourant les discussions. En effet, ce sont eux qui font généralement les offres et qui détiennent habituellement le mot final sur l’entente. Bien sûr, ils ne peuvent imposer la solution, mais ils contrôlent en quelque sorte ce qui sera offert. De plus, ils ont parfois plus de ressources pour préparer leurs arguments. Ils peuvent donc amortir davantage les côtés obscurs quant à l’issue de la médiation. Il s'agirait là d’une des raisons principales pour laquelle ils apprécient davantage le processus. 

Pour les employés. Quant aux employés, du fait qu'ils ont moins d'emprise sur la finalité de la médiation, ils sont plus vulnérables quant à l’incertitude qu'elle génère. Cette difficulté à exercer un certain droit de regard sur les offres expliquerait leur plus grande insatisfaction face au processus. Est-ce dire qu’ils doivent nécessairement être victimes de la situation? pas vraiment. Toutefois, le médiateur devrait trouver une manière de compenser cette lacune s’il veut augmenter l’appréciation du processus de médiation chez les individus ne détenant que peu de pouvoir dans une discussion. 

Modérer l’incertitude. Il est important de réaliser que l’incertitude comporte deux aspects: celui envers le résultat de la médiation et l'autre concernant son déroulement. Si les gestionnaires contrôlent davantage les doutes reliés à l’issue de la médiation, le médiateur peut s’assurer de minimiser ceux qui se rattachent au processus pour les employés. À cet effet, deux stratégies sont particulièrement utiles. 

  • Effectuer une rencontre préparatoire individuelle avec chacun des participants avant de procéder à la médiation
  • Expliquer le processus et les prochaines étapes 
  • Prendre le temps de bien comprendre leurs préoccupations 
  • Aider l'un et l’autre à organiser leurs priorités et à définir leurs attentes  
  • Porter une attention particulière à ce que règne un sentiment de justice procédurale, en particulier pour les personnes qui ne sont pas en position de force
  • Éviter de se montrer favorable à un participant ou à sa version des faits 
  • Donner une chance égale à chacun de s’exprimer ou de défendre son point de vue 
  • Appliquer les règles de méditation de façon équivalente (ex. faire un caucus avec chaque personne et non seulement avec une seule) 

Il semble en effet que ces stratégies soient particulièrement efficaces pour minimiser le sentiment d’incertitude des employés. Les gestionnaires y seraient moins sensibles. Cependant, il ne s'agit pas d’un problème en soi car ceux-ci modèrent les doutes en assurant un certain contrôle sur l’issue des discussions. Néanmoins, il est important de ne pas oublier d’employer également ces façons de faire avec les supérieurs hiérarchiques. De fait, il ne faudrait pas remplacer un problème d’incertitude par un autre d’impartialité! 


Références
  • BOLLEN, Katalien, EUWEMA, Martin, et MÜLLER, Patrick. Why are subordinates less satisfied with mediation? The role of uncertainty. Negotiation Journal, 2010, vol. 26, no 4, p. 417-433. 
  • BOLLEN, Katalien, ITTNER, Heidi, et EUWEMA, Martin C. Mediating hierarchical labor conflicts: Procedural justice makes a difference—for subordinates. Group Decision and Negotiation, 2012, vol. 21, no 5, p. 621-636. 
  • BOLLEN, Katalien et EUWEMA, Martin. The Role of Hierarchy in Face‐to‐Face and E‐Supported Mediations: The Use of an Online Intake to Balance the Influence of Hierarchy. Negotiation and Conflict Management Research, 2013, vol. 6, no 4, p. 305-319.



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