mardi 1 mai 2012

Négociation et escalade irrationnelle

Cette semaine, je n’aborde pas le conflit entre les étudiants et le gouvernement du Québec. Je m’attarde plutôt au phénomène de l’escalade irrationnelle en négociation. La définition que Bazerman et Neale donnent de l’escalade irrationnelle est la tendance des négociateurs à maintenir fermement leur ligne de conduite initiale au-delà de ce que leur dictent leurs intérêts personnels, une analyse rationnelle de la situation ou encore tout simplement la probabilité de réussite. L’escalade s’explique par le fait que les investissements antérieurs justifient à eux seuls la poursuite des revendications, voire l’ajout de nouvelles demandes. Ainsi, la partie souhaite récupérer le temps, l’énergie et les ressources déjà investis dans la négociation et ses choix stratégiques sont guidés par cette motivation.

En fait, personne ne se résout facilement à l’idée d’avoir carrément perdu son temps pendant une démarche, d’avoir investi des ressources financières et des énergies de toutes sortes pour tout à coup abandonner la mise et ne toucher au bout du compte aucune compensation. Prenons l’analogie du singe et du fruit : un singe voit un fruit au fond d’un vase et il y plonge la main pour le saisir. En refermant la main, son poignet ne passe plus dans l’ouverture du vase. Ne voulant pas laisser le fruit, le singe reste ainsi prisonnier du vase. C’est bien plus qu’une analogie, c’est une technique utilisée pour capturer les singes en Afrique. Alors lorsque vous voulez à tout prix conserver votre mise, demandez-vous si vous agissez en fin stratège ou encore comme le singe avec le fruit.

Dans le cadre d’une négociation, une zone d’entente est délimitée par les points de résistance des parties (c’est-à-dire le montant au-dessus ou en dessous duquel une personne n’est pas prête à aller pour conclure une entente). Par exemple, la personne qui met en vente un véhicule d’occasion peut souhaiter obtenir un minimum de 10 000 $ (point de résistance du vendeur) alors que l’acheteur est prêt à payer un maximum de 15 000 $ pour se le procurer (point de résistance de l’acheteur). Dans cet exemple, la zone d’entente possible se situe entre 10 000 $ et 15 000 $. Or si les négociations nécessitent beaucoup d’investissement en temps et en énergie, il est possible que les parties veuillent un amortissement. Le vendeur exigera maintenant un minimum de 11 000 $ pour compenser son temps, alors que l’acheteur ne sera prêt à investir que 14 000 $. Ainsi, le désir de récupérer l’investissement a réduit la zone d’entente possible entre les parties.

Ce phénomène peut être fatal pour les négociations lorsque la zone d’entente possible en début de négociation est déjà mince. Dans ces cas, le désir de récupérer le temps et l’énergie investis peut réduire cette zone à néant. La négociation ne pourra pas aboutir en raison de l’escalade irrationnelle. Dans les situations où les parties ne peuvent pas rompre leur relation et doivent en arriver à une entente, une guerre d’usure s’ensuivra jusqu’à ce que l’une des parties ne puisse plus « investir » dans l’escalade des engagements. Elle cèdera alors la manche, jusqu’à ce qu’elle reprenne suffisamment de force pour chercher une revanche.

Hum... Après tout, je vous ai peut-être parlé du conflit entre les étudiants et le gouvernement du Québec. Après 12 semaines de confrontation, il est fort possible qu’il y ait une certaine dose d’escalade irrationnelle entre les deux parties. Qu'en pensez-vous?

Source:
  • Bazerman, M.H. et M.A. Neale. 1992. Negotiating rationally. New York, NY. Free Press. 196 pages. 
  • Poitras, J. et F. Bélair. 2008. Psychologie de la négociation. Montréal, Éditions Québécor, 168 pages. 

 

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