Pages

lundi 18 février 2019

Conflits superviseur(e)s-supervisé(e)s et conflits entre employé(e)s : est-ce la même chose?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Qu’est-ce qui est pire? Être en conflit avec son supérieur ou avec un collègue? Sans trancher la question, les recherches indiquent que les conséquences d’une telle situation avec son patron ne seraient pas les mêmes que celles avec une consoeur ou un confrère de travail. Qui plus est, les mécanismes provoquant les effets négatifs pour les protagonistes seraient également différents. Si la gestion de ces deux types de conflits est très similaire sur le plan des étapes de médiation, cette nuance sur les opérateurs sous-jacents suggère l'emploi de stratégies complémentaires distinctes pour les désamorcer.

Conflits avec ses supérieurs. Selon les études, un différend avec son gestionnaire génère plus d’insatisfaction au travail et de désengagement envers ses tâches qu’une situation conflictuelle avec des collègues. Cette distinction s’expliquerait par le fait que le premier entraîne un sentiment d’impuissance. Ce phénomène provient de la relation de pouvoir : le supérieur a souvent le gros bout du bâton, ce qui fait que le subordonné a peu de moyen de faire valoir son point de vue. Le règlement du conflit dépend alors du bon vouloir du patron. De plus, cette impression d'incapacité serait exacerbée lorsque l’employé(e) ne dispose d'aucun recours contre ce dernier. Celle-ci serait le véhicule (i.e. la courroie de transmission) entre le conflit et les retombées négatives que sont l’insatisfaction et le désengagement chez le subalterne. 

Conflits avec ses collègues. D'après les recherches, un conflit avec des collègues engendre plus de stress et de dépression chez l'individu impliqué que celui qu'il aurait vécu avec son supérieur. L’effritement du support social serait responsable de ces réactions négatives. En d’autres termes, des tensions entre employé(e)s isoleraient les protagonistes de leurs confrères. Cela s’expliquerait du fait que les gens fuiraient la dispute pour ne pas s’y retrouver mêlés, ou en raison de la formation de clans qui conduirait à des bris de communications. Fait à noter: l'affaiblissement du soutien de l'entourage serait ressenti par tous, à l'inclusion de celles et ceux qui ne sont pas impliqué(e)s directement dans la situation conflictuelle. Cet étiolement du support d'autrui constituerait alors le lien important entre le conflit et les états de stress et de dépression. 

Implication de ces données dans la gestion de conflits. Pour désamorcer un conflit, il faut rebâtir le dialogue entre les participant(e)s et négocier un compromis. Mais il semblerait que pour maximiser l’impact d’une intervention de gestion d'un différend en milieu de travail, il serait aussi utile de s’attaquer aux variables négatives. Ainsi, en réparant les dommages collatéraux du conflit (i.e. le sentiment d’impuissance et la destruction du support social), en plus de réconcilier les protagonistes, le travail du médiateur serait alors doublement efficace. Puisque ces éléments perturbateurs varient selon qu’il s’agit d’un conflit avec un supérieur ou avec des collègues, nous pouvons formuler deux recommandations en fonction de la situation qui prévaut. 
  • Lorsque le conflit est axé sur des tensions entre le gestionnaire et des employés et qu'il a des retombées chez l'ensemble des membres de l'équipe, il sera important d’augmenter l’influence de ces derniers dans le processus décisionnel. Il ne s’agira pas de limiter ou de minimiser l’autorité du dirigeant, mais de réduire le sentiment d’impuissance des subalternes. Par exemple, ce pourrait être d’inciter le gestionnaire à consulter davantage les employé(e)s afin qu’il(elle)s puissent exprimer leur point de vue.
  • Lorsque la dynamique conflictuelle se situe plutôt entre des confrères, il faudra alors reconstruire le support social entre les deux employé(e)s impliqués, mais aussi entre celles et ceux qui en sont témoins ou victimes indirectes. Par exemple, une rencontre de groupe post-médiation pourrait être tenue afin de discuter des réactions du groupe face au conflit et d’adopter des comportements collectifs de résolution de problème pour les situations futures. L’idée est de rebâtir les liens pour favoriser un sentiment de communauté et par extension, rétablir le soutien de l'entourage. 

Cette chronique illustre bien qu'en dépit du fait que les conflits comportent en général une structure commune, chaque type possède quand même ses particularités. Si les aspects similaires permettent l’utilisation de processus de résolution plus ou moins génériques tels que la médiation, la connaissance des spécificités de chacun offre la possibilité de cibler des leviers facilitant, non seulement le règlement du conflit, mais aussi le rétablissement d’un climat de travail fonctionnel. Ces outils constituent souvent le petit ingrédient magique qui fait la distinction entre le fait d'avoir trouvé une solution aux difficultés des protagonistes et celui de réparer les dommages causés à la dynamique du groupe. 


Références
  • DIJKSTRA, Maria TM, VAN DIERENDONCK, Dirk, et EVERS, Arne. Responding to conflict at work and individual well-being: The mediating role of flight behaviour and feelings of helplessness. European Journal of Work and Organizational Psychology, 2005, vol. 14, no 2, p. 119-135. 
  • FRONE, Michael R. Interpersonal conflict at work and psychological outcomes: testing a model among young workers. Journal of occupational health psychology, 2000, vol. 5, no 2, p. 246. 
  • ILIES, Remus, JOHNSON, Michael D., JUDGE, Timothy A., et al. A within‐individual study of interpersonal conflict as a work stressor: Dispositional and situational moderators. Journal of Organizational Behavior, 2011, vol. 32, no 1, p. 44-64.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de contribuer au succès de ce blogue!