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mardi 5 février 2019

Médiation : Comment s’assurer que les offres faites soient appréciées?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Vers la fin d’un processus de médiation, une offre de compromis est faite. Selon votre appréciation de médiateur, ainsi que votre connaissance des intérêts des personnes participantes, cette proposition semble tout à fait raisonnable. Mais surprise! l'une d'elles la juge insuffisante. Est-ce une stratégie de négociation compétitive? s'agit-il d'un caprice? ou encore d'une estimation qui serait teintée par un phénomène psychologique? Non seulement la théorie de la comparaison pourrait vous aider à mieux comprendre la situation, mais elle serait également susceptible de révéler des moyens d’intervention efficaces.

L'appréciation de ses gains est un processus
fortement subjectif. (Source: Shutterstock)
Théorie de la comparaison. Cette dernière explique la façon dont les individus évaluent les gains et les pertes à partir de leur contexte. Par exemple, en milieu de travail, elle décrit le mécanisme par lequel les employé(e)s perçoivent leur salaire comme étant juste ou non: «Suis-je payé selon les standards de l’industrie? Est-ce que ma rétribution est équivalente à celle de mes collègues?» En situation de conflit, la théorie de la comparaison sert à comprendre comment les individus impliqués apprécient les offres qui leur sont faites. 

Ainsi, une proposition sera d’abord estimée en fonction du ratio coût/bénéfice. En effet, si on croit que la compensation offerte est supérieure au préjudice subit, de prime abord, celle-ci sera jugée intéressante. Mais la théorie va plus loin que cette analyse primaire. Elle ajoute que cette évaluation sera aussi pondérée par celle que fera l’autre personne sur le même aspect. Conséquemment, si on croit que notre vis-à-vis retire un plus grand bénéficie de l’entente, nous la trouverons injuste, même si dans les faits on y gagne. Qui plus est, en dépit du fait que les gains soient équitables entre les individus, si on a l’impression que l’autre n’as pas vraiment d’effort à faire pour consentir une concession, nous serons quand même déçu! Par exemple, si on pense que ce qu'il nous a concédé ne lui a rien coûté, nous serons naturellement portés à le dévaluer. 

On peut donc concevoir que bien gérer l’appréciation des offres est aussi important pour un médiateur que d’encourager les participant(e)s à faire des propositions. Plus spécifiquement, la théorie suggère trois stratégies pour s’assurer qu'ils évaluent à leur juste valeur ce qui leur est présenté, et ainsi favoriser l’obtention d’un compromis. 

Appréciation de ses gains. Il va de soi que plus une personne mesure positivement ses gains, plus elle sera satisfaite et trouvera l'offre intéressante. À cet égard, la théorie de la comparaison n'amène rien de nouveau. Mais elle nous rappelle tout de même l’importance pour un médiateur d’aider les gens à bien apprécier le degré de satisfaction de leurs intérêts généré par une proposition d’entente. Surtout, du fait qu'ils négligent parfois cette évaluation.

Appréciation des efforts de l’autre. La théorie de la comparaison avance également que l’appréciation de ce qui est offert dépend de l’estimation que l’on fait des efforts consentis par l’autre pour nous faire une offre. En d’autres termes, plus une personne réalise que son vis-à-vis a fait des sacrifices pour en arriver à une entente, plus elle est satisfaite du compromis. Or, en situation de conflit, évaluer les éléments abandonnés par l'autre n’est pas nécessairement une réaction naturelle. À cet effet, le médiateur peut jouer un rôle important en expliquant à l'individu qui reçoit la proposition, le contexte des concessions qui ont été faites. Une seconde approche consiste à inciter les participant(e)s à bien exprimer la nature des efforts qu’ils consentent lorsqu’ils font une suggestion.

Présence de l’autre personne impliquée. Une des prédictions intéressantes et validées de la théorie de la comparaison est qu’une offre sera toujours plus appréciée si elle est faite en personne. La raison en est fort simple; l’effort nécessité par la présentation personnelle d’une proposition augmente l’évaluation positive qu'on en fait. En situation de conflit, cela peut s’avérer un point important. Ainsi, le médiateur devrait toujours inviter les gens à présenter eux-mêmes ce qu'ils veulent mettre sur la table plutôt que de servir d’intermédiaire et le faire à leur place. Les offres seront alors davantage considérées.

Comme le démontre la théorie de la comparaison, l’appréciation d’une offre ne constitue pas un processus totalement objectif. Il contient une bonne part de subjectivité. Bien entendu, un médiateur ne doit pas influencer le jugement des personnes auprès desquelles il intervient. Mais il doit malgré tout, essayer de tempérer les facteurs qui pourraient faire en sorte qu'elles n'évaluent pas une proposition à sa juste valeur. C’est dans cette perspective que les stratégies proposées ici peuvent être utiles. Et pour s’assurer d’une intervention impartiale, il doit effectuer le recadrage des éléments mis de l'avant avec chacune d'elles. Il s'agit d'un exercice délicat, mais qui permet d’éviter que des solutions soient rejetées inutilement parce qu’elles sont mal considérées. Le médiateur peut ainsi favoriser la recherche d’un compromis.


Références
  • BAZERMAN, Max H. Fairness, social comparison, and irrationality. Social psychology in organizations, 1993, p. 184-203. 
  • JASSO, Guillermina. The theory of comparison processes. Contemporary social psychological theories, 2006, p. 165-193. 
  • MESSÉ, Lawrence A. et WATTS, Barbara L. Complex nature of the sense of fairness: Internal standards and social comparison as bases for reward evaluations. Journal of Personality and Social Psychology, 1983, vol. 45, no 1, p. 84. 
  • XIA, Lan et MONROE, Kent B. Is a good deal always fair? Examining the concepts of transaction value and price fairness. Journal of Economic Psychology, 2010, vol. 31, no 6, p. 884-894.

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