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lundi 3 décembre 2018

Le médiateur devrait-il donner son opinion quant aux options des participant(e)s?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Un des mythes importants de la médiation évaluative est que le médiateur aiderait les personnes récalcitrantes à faire des compromis en se prononçant sur l’issue probable du conflit. Informées du «risque de perdre» devant un quelconque décideur, celles-ci présenteraient alors une plus grande «ouverture» aux solutions proposées. Or, une étude récente démontre avec éloquence que les pronostics des tiers intervenants sont peu fiables. Ainsi, leur opinion quant aux chances que les gens gagnent lors d'une audience s'avère généralement une prévision qui n'est pas vraiment sûre. Dans cette perspective, quelle est la vraie valeur de ce modèle de médiation?

En fait, l’erreur de plusieurs médiateurs est de baser leur intervention sur l’évaluation du risque. Par exemple, selon son expérience, l'un d'eux peut au cours du processus, informer une personne qu'il est peu probable qu’elle obtienne gain de cause lors de l'audition et qu’elle devrait par conséquent, accepter le compromis qui lui est présenté. Si cette affirmation réussit à la faire fléchir, la situation n’en demeure pas moins problématique car le médiateur peut sembler exercer des pressions indues. Est-ce dire que la médiation évaluative n’a pas sa place parmi les mécanismes de gestion des conflits? 

Contrairement aux détracteurs de l’approche évaluative, nous croyons que le médiateur doit parfois aider les gens à mieux considérer leurs options. Cependant, celui-ci doit se concentrer sur la confrontation de leurs idées préconçues et non sur l’évaluation de leurs possibilités de remporter le verdict. Pour ce faire, adopter une attitude d’«avocat du diable» est une excellente approche. Voici une liste des préjugés cognitifs qu'il peut questionner. 

Surestimation de ses chances de gagner. Il est bien connu dans la littérature scientifique que les individus ont tendance à surestimer leur chance de gagner, notamment parce qu’ils sous-estiment la position de leur vis-à-vis. C’est ainsi que l'intervenant peut réduire cette propension en soulignant les points forts de ce dernier. Il peut aussi mettre en lumière les faiblesses des arguments de celui qui se croit plus solide. Sans se prononcer sur l’issue du conflit, il aide néanmoins les gens à mieux évaluer la situation. 

Sous-estimation des coûts. Bien qu’une personne puisse avoir d’excellentes chances de gagner un procès ou un arbitrage, il reste que le processus menant à la victoire engendre des coûts qui sont généralement très importants sur le plan financier, temporel et émotif. Est-ce que celle-ci les a bien estimés et en a tenu compte dans son évaluation globale? Est-elle prête à rester en conflit encore plusieurs mois dans l’attente de sa réussite? L’attrait du gain risque souvent d'aveugler les gens au point d’éclipser leur jugement. Un médiateur peut alors les aider à bien analyser l’ensemble de l’équation coûts/bénéfices. 

Sous-estimation des dommages collatéraux. Un autre élément que les personnes en conflit oublient régulièrement de considérer, ce sont les conséquences négatives du conflit pour les personnes qui ne sont pas directement impliquées, mais qui gravitent autour de la situation conflictuelle. L’exemple classique concerne les enfants d’un couple qui divorce. Parfois, c’est lorsque les parents prennent conscience de la souffrance de ces êtres vulnérables qu’ils réalisent que le maintien du conflit ou la victoire à tout prix ne constitue pas une option viable. C’est ainsi qu’en les aidant à prendre acte des dommages collatéraux, le médiateur les amène à mieux évaluer leurs options. 

Perte de vue des objectifs supérieurs. Il est normal en situation de tension, de colère, de ressentiment, que les gens veuillent gagner, et même qu'ils désirent faire payer l’autre. Mais est-ce le but ultime de la démarche? Ne serait-ce pas plutôt de régler un obstacle qui les empêche de cheminer vers autre chose? La médiation d’un divorce vise-elle à faire payer le conjoint pour avoir provoqué la rupture, ou n'a-t-elle pas plutôt pour objectif l'obtention d'une entente qui permettra aux protagonistes de refaire leur vie et de sauvegarder le bien-être des enfants le cas échéant? Dans le domaine de l'emploi, ne permettrait-elle pas de rétablir les communications et l'harmonie dans les relations au lieu creuser l'écart et de détériorer davantage le climat de travail? Comme il n’est pas rare que les personnes impliquées dans une situation conflictuelle perdent de vue la finalité d'une démarche de résolution d'un différend, il peut être opportun que le médiateur les incitent à garder cette perspective en tête. Cela leur permettra de mieux circonscrire les options qui se présentent à elles. 

L’objectif d’une intervention évaluative devrait être d’aider les participant(e)s à mieux soupeser les possibilités qu'ils ont et non pas de les convaincre de régler. Pour ce faire, le médiateur doit respecter certains principes. D'abord il ne doit pas les effrayer, mais plutôt les soutenir afin qu'ils fassent une appréciation objective de la cause. Ensuite, dans le but de maintenir une équité entre eux, il se doit de faire cet exercice avec chaque personne, même s’il a l’impression qu’une seule fait une évaluation faussée de la situation. En respectant ces deux lignes de conduite, la médiation évaluative respecte les règles de l’art. 


Références
  • BAITAR, Rachid, BUYSSE, Ann, BRONDEEL, Ruben, et al. Styles and goals: Clarifying the professional identity of divorce mediation. Conflict Resolution Quarterly, 2013, vol. 31, no 1, p. 57-78. 
  • DELLA NOCE, Dorothy J. Evaluative mediation: In search of practice competencies. Conflict Resolution Quarterly, 2009, vol. 27, no 2, p. 193-214. 
  • LEVIN, Murray S. The Propriety of Evaluative Mediation: Concerns About the Nature and Quality of an Evaluative Opinion. Ohio State Journal Dispute Resolution, 2000, vol. 16, p. 267.

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