lundi 19 novembre 2018

Les médiateurs devraient-ils révéler leurs stratégies aux participant(e)s lors d'une médiation?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

Les médiateurs donnent parfois leur avis sur les options de solutions avancées par les personnes qui participent à la résolution de leur conflit. En fait, le modèle de médiation évaluative est basé principalement sur l'opinion des intervenants pour faire débloquer les impasses. Par contre, lorsqu’il s’agit de divulguer les stratégies de médiation, ils sont beaucoup plus hésitants. Doit-on, par exemple, expliquer la raison pour laquelle on rencontre telle personne en premier? Et si on décide d’être transparent par rapport aux façons de faire utilisées, existe-il un risque de diminuer l’influence de celles-ci? Nous proposons dans cette chronique une analyse des avantages et des inconvénients associés au fait d’être limpide en regard de ses modes d’intervention pour conclure par la suite sur les meilleures pratiques.


Type de transparence. On la qualifie de procédurale lorsque le médiateur explique aux gens les stratégies qu’il utilisera. Cela peut être d’annoncer comment il veut aborder le problème, ou encore d’indiquer à l’un des individus qu’il demandera d'abord à l’autre d'exprimer sa version du conflit. Par ailleurs, il est question de transparence de l’impact recherché quand il précise l’objectif visé par la démarche choisie. En poursuivant l’exemple précédent concernant la première personne qui prendra la parole, le médiateur pourrait spécifier à son vis-à-vis que c'est parce qu'il croit que cela aidera à calmer le jeu. À noter que le choix de la limpidité peut aussi s’accompagner d’une consultation. Dans ce cas, il explique la façon qu'il a privilégiée et l’impact recherché, pour ensuite demander aux participant(e)s s'ils sont confortables avec son approche.

Risques associés à la transparence. Certaines craintes peuvent motiver les résistances potentielles du médiateur quant au fait de révéler ses stratégies. En effet, d'aucuns peuvent avoir peur qu'en agissant ainsi, cela en diminue l’efficacité. En d’autres termes, si les gens connaissent la démarche et son objectif, ils peuvent tenter de ne pas laisser le médiateur opérer librement. 

Ensuite, pour d'autres intervenants, expliquer leurs façons de faire peut être relié à une perte de prestige. Le médiateur est alors conceptualisé comme un magicien des conflits qui peut donc, à l'aide de stratégies « spéciales », amener les individus vers une entente. Dans cette perspective, celui qui fait preuve de limpidité dilue son aura d’expertise et risque ainsi d'amoindrir son statut auprès d'eux. 

Finalement, certains médiateurs ont la propension de croire que cela peut miner leur pouvoir procédural. Pour eux, moins les gens détiennent d’informations sur leurs stratégies, moins ils ont un mot à dire sur le déroulement du processus de médiation. Que feront-ils s'il y a opposition à la démarche proposée ? Lorsqu’on travaille avec des personnes qui ont tendance à contester l’autorité, le problème peut être bien réel. 

Avantages de la transparence. Malgré tout, être transparent quant à ses choix stratégiques peut être bénéfique pour la dynamique de médiation. D’abord, cela favoriserait la confiance. En effet, un des piliers de celle-ci est la prévisibilité. Plus les gens sont en mesure d’anticiper ce qui va se passer, plus ils se fient au médiateur. Ainsi, révéler ses stratégies diminuerait l’incertitude et augmenterait le degré de confiance à son endroit. 

Ensuite, la transparence permet de mieux gérer l’asymétrie des interventions. Celles d’un médiateur peuvent varier légèrement d’une personne à l’autre selon le contexte, le type de conflit ou la personnalité de l’une d'elles. À titre d’exemples, voici des situations communément associées à une intervention asymétrique : 
  • Prendre la parole en premier - Celui qui exprime sa version des faits au début peut avoir un avantage stratégique sur le déroulement de la discussion car il lui donnera le ton 
  • Recevoir davantage de renseignements - Si le médiateur fournit plus d’explications ou d’informations à l’un des protagonistes du fait que celui-ci comprend moins bien le contexte du conflit, il y a risque que son vis-à-vis ait l’impression que le médiateur l’«aide» injustement 
  • Être interpellé plus souvent - Dans l'éventualité où le médiateur coupe plus souvent la parole à l’une des personnes car celle-ci ne cesse de blâmer et de critiquer l’autre, lorsqu'elle est interrompue, elle peut venir à penser que l'intervenant entretient un préjugé défavorable à son égard 

En expliquant à la fois le choix d’une stratégie et l’impact recherché, le médiateur permet aux individus de comprendre pourquoi il agit d’une certaine manière. Il évite ainsi de laisser place à leur imagination, alors qu'ils pourraient interpréter ses comportements comme un signe de parti pris envers l’un ou l’autre. La transparence favoriserait donc l’acceptation des interventions asymétriques. 

Finalement, en agissant ainsi, les tiers intervenants peuvent faciliter le déroulement du processus de médiation car cela leur permettrait de développer une complicité avec les protagonistes. Non seulement la compréhension des stratégies en augmenterait l’acceptation, mais elle encouragerait aussi l’adhésion à celles-ci. Ainsi, les gens pourraient consentir à moduler leurs comportements pour rendre la démarche plus facile s'ils saisissent bien l'orientation du médiateur. Par exemple, ils pourraient plus aisément être d'accord à reporter certaines demandes plus loin dans le processus afin de ne pas mettre de l’huile sur le feu s'ils comprennent en quoi le report s’inscrit dans son plan de match. 

Meilleures pratiques. Pour le médiateur, divulguer ses stratégies aux participant(e)s peut constituer un défi quant au maintien de son impartialité. Une des règles de base est de s’assurer que le degré de transparence des méthodes envisagées est le même pour tous. Il faut éviter l’apparence de collusion avec l’un d'eux. Il semble aussi que la limpidité soit une bonne idée, en particulier dans les cas d’interventions asymétriques, ou encore quand on demande aux gens de modifier leur comportement. Celle-ci n'est cependant pas nécessaire en regard des petits détails du processus de médiation. Toutefois, c’est au début de celui-ci que la transparence est la plus «payante» pour créer une bonne dynamique de médiation. En effet, elle permettra de limiter l’insécurité des gens tout en les embarquant dans le plan de travail du médiateur. Toutes ces recommandations présupposent cependant que l'intervenant est conscient des stratégies choisies et des raisons qui le motivent à les utiliser. En effet, on ne peut expliquer ce qu’on ne comprend pas soi-même. 


Références
  • MOFFITT, Michael. Casting light on the black box of mediation: Should mediators make their conduct more transparent. Ohio St. J. on Disp. Resol., 1997, vol. 13, p. 1. 
  • SHAPIRA, Omer. Exploring the concept of power in mediation: mediators' sources of power and influence tactics. Ohio St. J. on Disp. Resol., 2008, vol. 24, p. 535. 
  • SZEJDA FEHRENBACH, Keri et S. EBESU HUBBARD, Amy. Future directions in neutrality research: symmetry and transparency. International Journal of Conflict Management, 2014, vol. 25, no 3, p. 226-242.

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