La pression vers la conformité: fléau ou levier de gestion de conflits?

Par Jean Poitras et Solange Pronovost

L’une des premières étapes d’une intervention visant à désamorcer un conflit de groupe est de rencontrer chacun de ses membres individuellement. Il est alors fréquent d'entendre les personnes affirmer qu’elles en ont assez de la situation, qu’elles trouvent que les gens devraient mettre de l’eau dans leur vin, mais qu’elles ont l’impression d’être les seules à penser ainsi. Et il n’est pas rare non plus, que parmi celles-ci, plusieurs tiennent ce discours en privée, mais n’osent pas le dire lors des rencontres de groupe. Pourtant, si elles parlaient, le conflit perdrait beaucoup d’élan. Pourquoi ce silence, et comment désamorcer ce réflexe comportemental? Pour donner réponse à ces questions, comprendre le phénomène de conformité peut s’avérer utile.

Dans une réunion, dit-on toujours tout haut ce que l’on

pense tout bas? (Source: www.cartoonbank.com)

En 1955, le professeur Solomon Ash demanda à un groupe de douze sujets de regarder des images, pour ensuite choisir la ligne la plus longue parmi quatre choix. L’expérience était présentée comme un test visant à déterminer la capacité de l’œil humain de percevoir les différences subtiles. Mais en fait, c’est tout autre chose que le professeur mesurait En effet, les onze premières personnes étaient des comédiens qui avaient pour consigne de donner une réponse unanime. La dernière était alors observée pour voir si elle interviendrait de la même façon que ses collègues, même si les choix de ceux-ci étaient manifestement erronés. 

Pression vers la conformité. Pour une grande proportion des participant(e)s, la pression était trop forte et ils se sont conformés à l’opinion de la majorité même s’ils croyaient que les autres avaient tort! C’est à l'aide de cette simple expérience répétée à mainte reprise et avec des résultats similaire qu'un des phénomènes clés des recherches en psychologie sociale est né: la pression à se conformer au groupe.

En psychologie sociale, la conformité est l'acte consistant à faire correspondre ses attitudes, ses croyances et ses comportements aux normes du groupe afin de préserver son affiliation à celui-ci ou encore, d'éviter d'être rejeter par les autres. Bien que les études initiales aient portées principalement sur la perception, plusieurs de celles qui ont suivi ont démontré depuis que le phénomène pouvait s’appliquer à bien des situations sociales : adoption de règles, choix de groupe, opinions politiques, etc. 

Impact sur la gestion de conflits de groupe. En situation conflictuelle, il n’est pas rare que les individus les plus polarisés de chaque sous-groupe s’expriment davantage. On peut donc avoir l’impression que chaque entité est très mobilisée. Or, il est possible que dans les faits, plusieurs personnes soient prêtes à être plus conciliantes mais n’osent pas s’exprimer craignant de se mettre en porte-à-faux avec le groupe. C’est le principe de la pression vers la conformité appliqué à la dynamique d’un groupe en situation de conflit.

Non seulement les études sur la pression à la conformité démontrent que c’est possible et probable, mais notre expérience clinique nous a confirmé que c’est souvent le cas ! Lorsqu’il y a un faux consensus par rapport à l’approche et au degré de mobilisation à adopter face au conflit, il est important de le faire éclater en permettant aux individus plus modérés d’exprimer leur opinion. C’est en fait un élément important d’une stratégie de résolution de conflit de groupe. 

Gestion de la pression à se conformer. L'insistance ressentie à épouser l’opinion qu’on croit majoritaire n’est pas inéluctable. En effet, les recherches ont démontré que cette influence pouvait être désamorcée de plusieurs façons : la présence d’une personne qui brise le consensus apparent et ouvre la porte aux opinions différentes, le travail en petit groupe (moins de pression) et la possibilité de prédisposer des gens au fait qu’un consensus n’est pas essentiel. 

C’est ainsi, que dans le cadre d’une gestion de conflit, lors d’une rencontre de groupe, l’intervenant pourrait donc adopter l’une des stratégies suivantes : 

• Expliquer aux participant(e)s qu’il est important de donner son avis, même si on a le sentiment d’être un peu à contre-courant 
• S’assurer que les individus ayant une opinion modérée ou différente s’expriment en premier afin de briser l’impression de consensus 
• Utiliser des sous-groupes de discussion au lieu de maintenir tout le monde ensemble afin de diminuer la pression à se conformer 

Revenons à notre question de départ quant à savoir si la conformité constitue un fléau ou un levier de gestion d'un différend. Pour un médiateur, ignorer le phénomène de la pression qui entraîne vers celle-ci, c’est se condamner à des rencontres de groupe crispées, où aucune évolution n’est vraiment possible. En ce sens, elle se range dans la première catégorie. Mais désamorcer ce phénomène donne l'opportunité d’avoir des conversations qui permettent de débloquer la dynamique conflictuelle. Dans cette perspective, cela s'avère un important outil dans la gestion d'un conflit de groupe. En fait, on ne peut vraiment dissoudre une telle situation sans prendre de front le phénomène de la pression à la conformité, surtout lorsqu’on est en présence de leaders formels ou informels très polarisés.

Pour des conseils tactiques, voir capsule vidéo ci-dessous. 

Références

• ASCH, Solomon E. Opinions and social pressure. Scientific American, 1955, vol. 193, no 5, p. 31-35. 
• EPLEY, Nicholas et GILOVICH, Thomas. Just going along: Nonconscious priming and conformity to social pressure. Journal of Experimental Social Psychology, 1999, vol. 35, no 6, p. 578-589. 
• MORRIS, William N. et MILLER, Robert S. The effects of consensus-breaking and consensus-preempting partners on reduction of conformity. Journal of Experimental Social Psychology, 1975, vol. 11, no 3, p. 215-223.

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Chronique complémentaire

• Médiation et conflits de groupe: Que suggère la théorie de la complexité?

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